Cover
Titel
"Guerra santa" e conquiste islamiche nel Mediterraneo (VII–XI secolo).


Herausgeber
Wolf, Kordula; Di Branco, Marco
Reihe
I libri di Viella 179
Erschienen
Rom 2014: Viella
Anzahl Seiten
198 S.
Preis
€ 29,97
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Annliese Nef, Umr 8167 «Orient et Méditerranée», Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Ce volume est le fruit d’un séminaire articulé autour des conquêtes islamiques en Méditerranée et de leurs conséquences entendues au sens large. Toutefois, l’unité que tente de lui donner l’introduction de Kordula Wolf (p. 7–16) est problématique: les exemples retenus relèveraient de “périphéries de l’Islam”, “périphéries” étant entendu comme une “catégorie analytique”, désignant des “régions de confins dynamiques” (p. 13). Si la Sicile, Chypre ou la Crète peuvent être considérées ainsi car elles ont été longuement disputées militairement ou partagées entre des entités islamiques et non islamiques, si l’Italie méridionale et Fraxinetum peuvent aussi l’être, inclure al-Andalus, et plus encore l’Égypte, ne va pas de soi, car à ce compte les régions du dâr al-islâm qui ne relèvent pas de cette catégorie sont l’exception. La pertinence analytique de la catégorie pour aborder l’ouvrage n’est en outre pas évidente car cette notion n’est discutée que par Marco Di Branco à propos de Rhodes, Chypre et la Crète, par ce dernier et Kordula Wolf au sujet de l’Italie méridionale et enfin par Giuseppe Mandalà au sujet de la Sicile. Les thèmes abordés et les démarches suivies dans les différents articles étant trop variés pour permettre une analyse générale, on les passera en revue successivement.

Samir Khalil Samir (p. 17–63) évoque la célèbre “Apocalypse du Pseudo-Samuel” rédigée en arabe, probablement au milieu du Xe siècle de l’avis de l’auteur. Si le texte est déjà bien connu, Samir propose de voir comment il évoque les musulmans et l’évolution de la situation des chrétiens en Égypte. Il met en avant la présence du terme “Hagaréens” (al-Hajara) dans les versions les plus anciennes de l’Apocalypse pour désigner les musulmans et sa rareté dans un contexte égyptien (ce qui explique qu’il était mal traduit jusque-là), alors qu’il est bien connu dans les textes syriaques. Assez logiquement dans un texte de nature apocalyptique, l’évocation des musulmans n’est guère positive, mais elle innove peu. L’auteur exhorte ses coreligionaires à ne pas céder à l’arabisation linguistique et à ne pas abandonner leur religion, deux éléments qui n’ont rien d’original dans ce type de texte. Cet article invite à établir une édition critique et une analyse systématique du texte que devrait procurer le travail de thèse de Jos van Lent à paraître1, aurait permis d’aller plus vite sur la présentation de la tradition manuscrite et du texte. De même, citer in extenso les passages du texte en arabe et en français en reprenant l’article de Jean Ziadeh2, avec des retouches (mineures) il est vrai, n’était peut-être pas très utile et aurait pu laisser la place à une analyse plus poussée du texte.

Marco Di Branco (p. 65–77) reflétant une tendance nouvelle de l’historiographie de la dernière décennie, qui a à la fois revalorisé le rôle des flottes islamiques en Méditerranée dès une période haute et jeté un regard nouveau sur les îles, invite à prendre en considération les spécificités que présente la conquête des grandes îles de la Méditerranée, Chypre, Rhodes et la Crète, retenues ici, n’en étant que des exemples. Leur contrôle définitif n’est en effet jamais aisé (et pas toujours nécessaire pour qu’elles remplissent une fonction stratégique et commerciale?), ce qui peut faire naître des stratégies militaires ad hoc, sans pour autant diminuer l’importance des espaces insulaires aux yeux des États islamiques.

Ann Christys (p. 79–94) souligne l’importance accordée au sort des conquis par deux textes rédigés en al-Andalus à une période haute – la “Chronique de 754”, en latin et la “Chronique” d’Ibn Habîb, rédigée en arabe au IXe siècle. Elle suggère que l’antagonisme religieux n’est pas la seule clé de lecture des deux auteurs. Le premier, anonyme, évalue la politique des émirs successifs en fonction de leur capacité à maintenir la paix interne; tandis qu’Ibn Habîb, comme nombre d’auteurs de la même époque, se penche sur les modalités de la conquête, sa légalité et ses conséquences juridiques.

Giuseppe Mandalà (p. 95–124) revient sur l’histoire culturelle et linguistique des groupes chrétiens au sein de la Sicile islamique et normande, et en particulier à Palerme. Comme tous les articles de l’auteur, celui-ci est stimulant et démontre une large connaissance des sources. Même sans partager la volonté de l’auteur de revenir sur la “formation de l’identité et de la communauté arabo-chrétienne” de Palerme (p. 100), ces deux termes soulevant nombre de problèmes épistémologiques3 ou de penser ces phénomènes “depuis le bas” (p. 100) (une expression qui n’a guère de sens et dont on se demande avec quelles sources on pourrait lui en donner un ici), de nombreuses notations sont intéressantes et nouvelles. Outre des réflexions synthétiques et convaincantes sur la diglossie fonctionnelle de ces groupes, usant de l’arabe quotidiennement et du grec comme langue “haute”, Mandalà attire l’attention sur deux nouveaux individus originaires de Sicile et ayant aidé à une meilleure connaissance du grec en al-Andalus (p. 103–104). En revanche, et en dépit des hypothèses toujours novatrices et argumentées de l’auteur, il ne parvient pas à convaincre que ces groupes étaient désignés en Sicile par un terme propre, autre que générique (du type “les chrétiens”) entre le IXe et le XIIe siècle ni que nous devrions donc le faire en tant qu’historiens.4 En effet, tous les exemples donnés par l’auteur renvoient à des usages ponctuels et à des textes rédigés par des auteurs non siciliens (Ibn Hawqal, Ibn Hazm) pour la période islamique, tandis que la très belle trouvaille de “Arabici”, dans un texte du XIVe siècle, pour désigner les chrétiens arabophones, ne renvoie pas à la période islamique, de même que le terme “mozarabe” dans la péninsule Ibérique d’ailleurs. On ne discutera pas ici, faute de place, les interprétations nouvelles proposées de “musha‘midhûn” généralement (mal) traduit par “musulmans bâtards”, ni d’un autre passage d’Ibn Hawqal (p. 107–112), mais elles peinent à convaincre complètement. Enfin, le bref paragraphe consacré à ce qui ferait l’identité des chrétiens arabisés de Palerme (p. 121) laisse le lecteur sur sa faim.

Marco Di Branco et Kordula Wolf (p. 125–165) reviennent sur la politique arabo-musulmane en Italie méridionale et convainquent sans peine de son importance et du fait qu’elle ne peut être réduite à une succession de raids. Ils montrent, en outre, et c’est là le plus novateur, que les interactions (depuis les traités et accords à la réduction en esclavage) entre musulmans et non musulmans furent très nombreuses dans la région et qu’il conviendrait donc de les prendre véritablement en compte pour en repenser l’histoire.

Aldo A. Settia (p. 167–174) montre l’évolution de l’historiographie relative aux musulmans de Fraxinetum, une évocation que les études de Mohamed Ballan5 et Catherine Richarté, Roland-Pierre Gayraud et Jean-Michel Poisson6 poussent à prolonger.

Cet ensemble manque donc d’unité et la difficulté est renforcée par le fait que ni les articles ni l’introduction ne se réfèrent à un cadre épistémologique et conceptuel commun, ou à une discussion commune aboutissant à des positions divergentes, ce qui serait tout aussi stimulant. Le résultat aboutit à une juxtaposition qui tranche avec ce qu’annonce l’introduction en ouverture.

Cette dernière place en effet le volume sous l’égide d’un courant important en Allemagne depuis quelques années (et l’une des motivations du séminaire était de faire dialoguer cette historiographie avec une historiographie italienne peu encline à ces interrogations, un dialogue qui n’advient pas dans le volume): il s’agit de la réflexion qui, partie de la notion de “transferts culturels”, est arrivée à la notion de “transculturel”, en passant par l’idée d’intégration/désintégration culturelle. Il s’agit ainsi de dépasser l’idée de cultures monolithiques en s’inspirant à la fois des “post-colonial studies” et de la “global history”. Sans entrer ici dans un trop long développement, on notera que ces différentes notions en prétendant repenser la “culture” continuent d’utiliser la catégorie avec laquelle précisément il devrait s’agir d’en finir pour proposer autre chose. Culture et identité deviennent ainsi les deux clés, éminemment discutables, et trop peu discutées (ni même présentes ?) dans le volume, de l’analyse. Le lecteur reste d’autant plus sur sa faim que les thèmes énumérés en fin d’introduction paraissent, eux, très classiques: interactions entre musulmans et non-musulmans après la conquête (p. 14) (mais ne s’agit-il pas justement de penser la redéfinition de ces groupes qui n’en forment plus qu’un et la co-production d’un monde nouveau?); rôle du jihâd (p. 14–15); statuts découlant de la conquête et nouvelles institutions mises en place (p. 15); identité des conquérants (p. 16); nature des forces centrifuges qui mirent à mal l’empire islamique (p. 16). Autant de questions repensées et profondément renouvelées dans la dernière décennie, sans que la bibliographie évoquée dans l’introduction n’y fasse référence (contrairement à la très rapide conclusion de Lutz Berger, p. 175–180).

Ce volume offre donc des interprétations intéressantes de cas précis, en particulier sur les îles méditerranéennes, la Sicile et l’Italie méridionale, mais n’établit ni comparaison entre les différents exemples retenus, ni véritable cadre d’analyse. On y verra donc un premier pas, prometteur, du renouveau des études sur l’Islam en Sicile et en Italie méridionale, et l’augure de débats scientifiques, indispensables à l’avancée des recherches, à venir.

Notes:
1 Cf. aussi Jos van Lent, The Apocalypse of Samuel, in: David Thomas / Alex Mallett (éd.), Christian-Muslim relations. A Bibliographical History, vol. 2 (900–1050), Leyde 2010, p. 742–752, non cité par Samir.
2 Jean Ziadeh, L’Apocalyse de Samuel, supérieur de Deir El-Qalamoun, in: Revue de l’Orient Chrétien 20 (1915–17), p. 374–407.
3 Cf. Annliese Nef, Conquérir et gouverner la Sicile islamique aux XIe et XIIe siècles, Rome 2011, p. 1–20, et id., Les groupes religieux minoritaires et la question de leur structuration en communauté dans les sociétés médiévales chrétiennes et islamiques, in: Jocelyne Dakhlia / Wolfgang Kaiser (éd.), Les musulmans dans l’histoire de l’Europe, vol. 2, Paris 2013, p. 413–440.
4 Pour la critique de l’usage des termes “mozarabe” et “melkite” pour désigner les chrétiens de Sicile cf. Annliese Nef, Conquérir et gouverner la Sicile islamique, p. 306–307.
5 Mohamed Ballan, Fraxinetum: en islamic frontier state in tenth-century Provence, in: Comitatus 41 (2010), p. 23–76.
6 Catherine Richarté / Roland-Pierre Gayraud / Jean-Michel Poisson (éd.), Héritages arabo-islamiques dans l’Europe méditerranéenne, Paris 2015.