O. Pilz u.a. (Hrsg.): Cultural Practices and Material Culture

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Titel
Cultural Practices and Material Culture in Archaic and Classical Crete. Proceedings of the International Conference, Mainz, May 20–21, 2011


Herausgeber
Pilz, Oliver; Seelentag, Gunnar
Erschienen
Berlin 2014: de Gruyter
Anzahl Seiten
VI, 290 S.
Preis
€ 79,95
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Alain Duplouy, Histoire de l'Art et Archéologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Spécialistes de l’archéologie et de l’histoire de la Crète archaïque et classique, les éditeurs présentent ici les actes du colloque „A new picture of archaic and classical Crete. Cultural practices and material culture in the 6th and 5th centuries BCE“ tenu en mai 2011 à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, qui avait réuni une série de spécialistes (historiens, archéologues, épigraphistes et historiens du droit) autour d’une réflexion sur les changements structurels que connaît la Crète aux époques archaïque et classique. Si la Crète de l’âge du Bronze a longtemps détourné l’attention des chercheurs, la Crète du Ier millénaire avant J.-C. connaît depuis deux décennies au moins un regain d’intérêt considérable. Présentée dans la tradition classique, qui va de Platon à Ronald Frederick Willets, comme une terre à part, quelque peu en marge du monde grec, à la fois conservatrice et aristocratique, la Crète „aux cent poleis“ apparaît aujourd’hui, grâce à de nouvelles enquêtes archéologiques et à un réexamen de la tradition littéraire et de la documentation épigraphique, comme une terre de cités grecques au modèle certes particulier, mais en réalité parfaitement intégrée au reste du monde grec. L’une des questions les plus intéressantes de l’histoire et de l’archéologie crétoises est la soudaine „fermeture“ de l’île à la fin du VIIe siècle, après le floruit d’une phase orientalisante à la fois précoce et longue. Ce que l’on a souvent décrit comme un „archaic gap“ pose en réalité la question de la visibilité et de l’identification de la culture matérielle des VIe et Ve siècles. C’est sur cette période spécifique de l’histoire crétoise que se concentrent les contributions réunies ici. De ce point de vue, il faut souligner combien la simplification de la culture matérielle – d’aucuns parlent d’ „austérité“ – touche avant tout les élites crétoises qui, contrairement au reste du monde grec, ne se lancent pas dans une compétition matérielle effrénée, mais affichent solidairement une identité opposée aux catégories inférieures de la société, formant ainsi un corps civique particulier, auquel on accédait à travers un système éducatif et participatif très réglementé.

À travers les résultats des compagnes de fouilles menées sur le site d’Azoria, Donald C. Haggis souligne la rapidité des changements à l’œuvre à la fin du VIIe siècle, tant dans la mise en place des institutions politiques que dans l’intensification de la production agricole et des contacts commerciaux, tandis que la forme elle-même de l’établissement d’Azoria voit une réorganisation radicale des espaces publics et privés. Eva Tegou présente les résultats d’une enquête archéologique sur la topographie des nécropoles et des sanctuaires d’Axos, offrant l’image d’une cité dynamique entre 600 et 400, mais également ouverte sur l’extérieur. Dans une contribution intitulée de manière suggestive „Mind the gap: Knossos and Cretan archaeology of the 6th century“, Brice Erickson confirme l’absence de documentation archéologique à Knossos pour les années 590–525 et propose – de manière problématique – d’y associer une „destruction“ de la ville mentionnée par Strabon. Au-delà de la traditionnelle approche anthropologique, Adam Rabinowitz revient par le biais de l’épigraphie et de l’archéologie sur les banquets crétois, montrant leur importance dans la construction et la structuration interne des communautés civiques. Prolongeant une thèse récemment publiée,1 Gunnar Seelentag envisage le développement des institutions crétoises dans la perspective des poèmes homériques et hésiodiques, rompant avec le modèle dominant faisant de la démocratie athénienne classique l’unique issue et soulignant la collaboration au sein des élites. Karen R. Kristensen revient quant à elle sur la documentation juridique des cités crétoises, qu’elle confronte à l’espace civique de celles-ci, soulignant les convergences mais aussi les divergences. Revenant sur le parallèle habituel entre Sparte et les cités crétoises, Stefan Link souligne les spécificités de l’île, notamment en matière d’éducation et de repas communs, à travers lesquels les élites visaient au bien commun de la collectivité. Paula Perlman discute pour sa part les problèmes méthodologiques posés par les sources littéraires du IVe siècle pour l’écriture de l’histoire archaïque et classique des cités crétoises. Confrontant textes littéraires et épigraphiques, elle revient notamment sur les phylai crétoises, écartant toute lecture „clanique“ ou „tribale“ qui a tant séduit archéologues et historiens, pour mieux inscrire ces institutions dans la norme des autres cités grecques. Giovanni Marginesu s’intéresse au remploi des inscriptions dans les bâtiments publics, un phénomène courant à Gortyne de l’époque classique à la période impériale. Katja Sporn présente une synthèse sur les pratiques funéraires du VIe au IVe siècle, retraçant le passage de l’incinération secondaire dans des tombes à chambre collective à l’inhumation primaire individuelle. Si la rareté des marqueurs de tombe en Crète correspond à la modération des élites civiques, il n’était toutefois pas nécessaire d’évoquer la bien problématique „middling ideology“ de Ian Morris. Oliver Pilz revient, quant à lui, sur l’iconographie crétoise et sur la rareté des images narratives dans l’art crétois archaïque et classique, qui contraste sur ce point avec la production artistique du reste de la Grèce. Si la céramique crétoise est généralement non décorée à cette époque, les bronzes – qui sont mal conservés dans la documentation archéologique – devaient en revanche être porteurs d’une iconographie détaillée. Enfin, s’attachant notamment au matériel céramique des fouilles en cours à Itanos, Thomas Brisart s’interroge sur les importations de céramique dans la culture matérielle archaïque et classique des cités de Crète orientale ; il en conclut que la céramique d’importation, lorsqu’elle apparaît dans la culture matérielle, était réservée tantôt aux banquets publics tantôt aux offrandes funéraires.

De belle facture et bien illustré, le volume se clôt par un index général. À travers une documentation diversifiée et des problématiques renouvelées, les auteurs présentent une image originale de la Crète archaïque et classique ou, à tout le moins, des interprétations radicalement nouvelles, qui n’ont plus rien à voir avec le prétendu traditionalisme crétois. Si la Crète demeure un monde quelque peu à part par rapport aux cités grecques égéennes et continentales, c’est par l’originalité des solutions mises en œuvre par leurs élites, non en raison du poids de l’héritage de l’âge du Bronze ou d’une société particulièrement „aristocratique“. Ce qui se passe en Crète archaïque, c’est l’adoption par l’élite civique d’un modèle comportemental original qui, à la différence du reste du monde grec, passe par la modération des formes matérielles d’expression. Cette „austérité“ ne dénote toutefois en rien un „appauvrissement“ de la société, mais bien l’affirmation d’une identité crétoise spécifique. Il faut donc savoir gré aux éditeurs d’avoir saisi le bon moment pour offrir un tel volume, qui ne manquera pas d’alimenter la réflexion en cours dans ce domaine particulièrement dynamique des études grecques que sont les recherches sur la Crète archaïque.

Note:
1 Gunnar Seelentag, Das archaische Kreta: Institutionalisierung im frühen Griechenland, Berlin, 2015.

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