Quelle Europe pour la jeunesse?

Quelle Europe pour la jeunesse?

Organisatoren
Centre d’histoire de Sciences Po; Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne; Labex EHNE; Institut historique allemand de Paris
Ort
Paris
Land
France
Vom - Bis
16.05.2019 - 17.05.2019
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Von
Theresa Finger, Universität Leipzig

Dans le contexte des élections européennes (mai 2019), la question d’une identité européenne commune était d’une grande actualité. L’Union Européenne (UE) fait l’objet de nombreuses critiques et défiances. À l’instar des identités nationales, la création d’une identité européenne repose en partie sur le partage d’un passé commun. Mais comment le forger? Comment et quels passés transmettre à la jeunesse? Telles ont été les questions posées lors de la journée d’études «Quelle Europe pour la jeunesse?».

En guise d’introduction, après des mots d’accueil de Niels F. May et de Mathieu Marly, SÉBASTIEN LEDOUX (Paris) présentait les fonctions attribuées au récit dans la transmission du passé en se référant à «L’Europe fantôme» de Régis Debray, décrivant une Europe absente à elle-même car dénuée de récit commun. Le défi narratif auquel est confronté l’Europe se situe dans la prise en compte de la pluralité des histoires européennes dans un processus d’homogénéisation du passé afin de produire un récit commun qui puisse être partagé par les Européens.

EMMANUEL DROIT (Strasbourg) commençait son exposé portant sur la culture mémorielle de la Seconde Guerre Mondiale dans l’Europe post-guerre froide avec l’expression d’un désaccord: au lieu d’une homogénéisation du passé, sa pluralité devrait être mise en avant à travers la mise en place d’une mémoire partageable et partagée en Europe. En se basant sur les concepts des «milieux de mémoire» de Maurice Halbwachs et de la non-simultanéité du simultané d’Ernst Bloch, Droit constatait un rideau de fer mémoriel qui serait resté en place après 1989. Différentes temporalités auraient été vécues dans le bloc de l’Est. Dans la mesure où la mémoire de la Shoah se construit dans les années 1990 comme un référent fédérateur pour les Etats d’Europe de l’Ouest, ce paradigme se heurte dans les États postsoviétiques qui rejoignent l’UE à d’autres cultures mémorielles concurrentes.

KORINE AMACHER (Genève) a rejoint Droit dans l’idée de devoir «sortir les prisonniers de guerre soviétiques de leur trou de mémoire» entre autre en intégrant la Russie dans une culture mémorielle européenne. Dans le cadre d’une étude de cas, elle s’intéressait à la place accordée à l’Europe dans les manuels scolaires d’histoire de la Russie postsoviétique. À travers les changements de régime politiques les manuels seraient restés imperméables à l’égard des discours politiques: l’Europe aurait toujours été présentée comme un partenaire. Amacher expliquait les changements qui auraient eu lieu depuis 2000 avec la volonté du président Poutine de former des écoliers fiers de leur pays. Depuis 2006, la Russie serait par exemple présentée comme partie intégrante de l'Europe et comme l’un de ses pays les plus puissants.

Dans une analyse des musées d’Europe, CHRISTINE CADOT (Paris) a constaté que le choix des temps zéros et leurs mises en image dans ceux-ci varient beaucoup entre l’Est et l’Ouest. Dans ses travaux, elle a étudié la visualisation de l’intégration européenne au musée et relevait une représentation téléologique, sous forme de frise chronologique, listant les réussites du projet et ne permettant pas aux spectateurs de remettre en question ce récit positif finaliste. Même si la représentation récurrente de deux lieux de mémoire européens (Willy Brandt s’agenouillant à Varsovie et Kohl et Mitterrand se tenant la main à Verdun) pourrait amener à penser qu’un récit commun existe, Cadot doute qu’une identité européenne puisse être créée à travers des musées.

Jusqu’ici, l’accent a principalement été mis sur les pays d’Europe de l’Est. Un focus qui se justifie étant donné les nombreuses hypothèses expliquant le manque d’une communauté imaginée par, entre autres facteurs, un déséquilibre est-ouest de cultures mémorielles. Une démarcation claire entre UE et Europe ainsi qu’une définition de «l’Europe», auraient parfaitement complétées ces présentations. La difficulté d’établir une telle définition fait partie du problème qui était au centre de la journée d’étude. La tentative d’en fournir une au cas par cas, aurait pu contribuer, petit à petit, à l’établissement d’une conception commune.

STEFFEN SAMMLER (Brunswick) présentait un projet de recherche en coopération avec l’Université Paul Valérie à Montpellier qui compare les représentations de l’Europe dans les manuels d’histoire français et allemands du XXe siècle. L’Europe aurait joué un rôle majeur notamment à partir des années 1950, avec une présentation de moins en moins hostile envers les autres pays. Pour l’avenir, Sammler proposait la création d’un livre d’histoire européen commun et des traductions plus précises de définitions qui varieraient trop entre les deux pays.

L’intervention de PATRICK CABANEL (Toulouse) revenait plus directement au reproche souvent fait à l’Europe qui avait ouvert ces journées d’études: un manque d’âme. Selon Cabanel, ce manque est dû en partie à l’absence, au niveau européen, de «tours de nations», un type de roman de jeunesse populaire apparu à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il n’y aurait pas suffisamment d’histoires de «vie et de mort», et trop de statistiques dans le récit de l’UE. Cela serait notamment à déplorer en littérature jeunesse vue l’influence potentielle sur ces futurs citoyens européens.

Ainsi se clôturait le premier axe thématique: les temps de l’Europe. Le fil rouge en est la mémoire, base pour la création d’une identité commune. Avec le constat unanime d’un manque de récit suffisamment façonné pour parler à toute la communauté, cette première partie pourrait être résumée avec l’hypothèse d’Emmanuel Droit qui l’avait ouverte: la mémoire en Europe est partageable mais elle n’est pas encore partagée.

EDINA KÖMÜVES (Budapest) introduisait le bloc thématique suivant des lieux de l’Europe avec une intervention sur la bataille de Mohàcs (1526) et sa représentation dans les manuels scolaires hongrois d’histoire pour lycéens au tournant du siècle, pendant l’entre-deux guerres, à l’époque communiste et dans les années 2000. Le champ lexical utilisé serait resté similaire en décrivant la bataille comme une tragédie ou un traumatisme national. Jusqu’à ce jour, Mohàcs servirait de justification de l’appartenance à l’Occident de la Hongrie qui aurait défendu l’Europe chrétienne contre la barbarie ottomane, ce qui expliquerait la relation ambiguë entre la Hongrie et l’Europe parce qu’elle se serait sentie abandonnée par cette dernière.

Dans un autre champ thématique, ERIONA TARTARI (Tirana) s’est intéressée aux transferts d’œuvres littéraires des Lumières et du Romantisme, principalement françaises et italiennes, en littérature pour la jeunesse albanaise. Tartari fait valoir que si ces travaux ont conduit, d’une part, à l’introduction de nouvelles façons de penser et à la remise en question des ordres établis, d’autre part, ils ont été instrumentalisés principalement dans des phases de construction nationale, telles que la Renaissance albanaise. La culture d’origine et la culture cible joueraient un rôle dans l’adaptation de ces œuvres, ce qui mènerait à ce qu’elle appelle des «contre-transferts» avec lesquelles la réception albanaise se serait construit sa propre image de l’Europe.

Une étude sur les représentations spatiales de l’Europe, présentée par CLARISSE DIDELON LOISEAU (Paris) revenait de manière plus concrète sur la question de savoir s’il existe une communauté imaginée européenne. Il a été demandé à 9000 étudiants de 18 pays de dessiner l’Europe sur une carte en projection polaire. Le résultat montre des représentations spatiales très variables, certaines frontières dessinées allant jusqu’à Vladivostok. Il y aurait un déficit d’image homogène à l’international, avec des concepts associés à l’Europe allant de l’UE jusqu’au colonialisme. Par ailleurs, l’identification avec cet espace dépendrait fortement du pays: les Belges par exemple s’inscriraient dans l’UE complète alors que les Hongrois ne se verraient liés qu’à la Hongrie. En conséquence, un sentiment d’appartenance à une unité supranationale serait possible, mais les identifications nationales continuent à prédominer.

Ce deuxième axe thématique se constituait de trois sujets très indépendants. La présentation de l’enquête spatiale fournit une base très factuelle et pertinente, permettant de consolider les analyses avancées jusqu’ici. Cette intervention s’est surtout démarquée par son approche dépourvu d’axe national et visant une Europe dans son intégralité en fonction de ce que cela représente selon les nationalités.

Le troisième axe, à savoir «les vecteurs de transmission de l’Europe», était ouvert par RAPHAELLE RUPPEN-COUTAZ (Lausanne) et son intervention sur l’association européenne des enseignants (AEDE). Cette association a été créée en 1950 avec l’objectif de former les enseignants à l’esprit européen pour transmettre l’idéal fédéraliste aux élèves. Initiative pionnière, l’AEDE s’est uniquement adressée aux enseignants, n’a pas eu de rattachement politique afin d’attirer un plus grand nombre de participants et s’est ainsi trouvée relativement isolée.

PHILIPPE VONNARD (Lausanne), s’intéressait lui à un vecteur de transmission extra-scolaire de l’Europe, à savoir le tournoi international de football des juniors. Il a été mis en place sur l’initiative de Stanley Rous en 1947/48 avec le but de développer le niveau du foot des jeunes et de les rapprocher à travers les nations grâce aux attraits pédagogiques de ce sport inspirant le respect de l’autre. Ce tournoi a, notamment au cours de la guerre froide, permit de nombreux échanges diplomatiques ainsi que des échanges entre jeunes qui n’auraient pas eu l’occasion de se côtoyer autrement.

Également hors du cadre scolaire, ANNE BRUCH (Bruxelles) présentait une étude sur l’accompagnement audiovisuel du processus d’intégration européenne, censé créer de l’identification à l’Europe. Les arguments principalement utilisés dans ces films afin de convaincre la jeunesse du projet européen seraient l’expérience commune de guerre, suivi du récit d’un meilleur avenir offert par la perspective de la construction européenne. Les jeunes y seraient souvent représentés comme les pionniers de l’Europe mais toujours associés à la sagesse des «saints» européens tels que Winston Churchill ou Alcide de Gasperi.

Toujours dans une logique de transmission de l’Europe à la jeunesse, ELÉONORE HAMAIDE-JAGER (Lille) s’interrogeait sur la présence de l’Europe dans la littérature de jeunesse. Elle y apparait surtout de manière sous-jacente, par exemple à travers la thématique des migrations. Hamaide-Jager expliquait cette absence de référence directe à l’Europe dans la littérature jeunesse par la nécessité d’un certain militantisme chez l’éditeur pour publier des ouvrages ne pas faisant unanimité. Pour tenter de répondre à la question de savoir s’il existait des ouvrages pouvant fédérer les européens, Hamaide-Jager cite Anne Frank et Janusz Korczak.

Les interventions du colloque se concluaient avec la présentation d’une mise en pratique des ressources fournit par l’Encyclopédie pour une Histoire Nouvelle de l’Europe du LabEx EHNE. RACHEL CEYRAC et JULIE RICHARD D’ALSACE (Nantes) ont tenté d’amener leurs élèves à faire un travail de remise en question à l’aide des sources mises à disposition dans l’Encyclopédie. Selon elles, ces sources auraient un fort potentiel. Pour pouvoir en faire une véritable transposition pédagogique, il faudrait encore créer des versions plus accessibles et un recueil de sources s’adressant expressément aux enseignants.

Une problématique commune, traversant ce bloc thématique, est la difficulté d’évaluer l’effet réel de ces actions auprès des jeunes. Ainsi, les résultats présentés sont malheureusement restés plutôt descriptifs, mais ont donné un bon aperçu de la variété des vecteurs pour transmettre l’Europe.

Au cours de la journée d’étude, les questions européennes ont pour la plupart été abordées par un prisme national. En guise de conclusion les organisateurs exprimaient non seulement leur étonnement à ce propos mais aussi sur le manque de définitions claires pour des concepts, tels que «intégration européenne», pourtant employés régulièrement. Deux lieux de mémoire, Anne Frank et la Shoah, même si considérés comme insuffisants à plusieurs reprises, ont finalement été présentés comme les seuls facteurs unificateurs mis à disposition actuellement. Une approche déficiente parce que difficilement employables pour convaincre une jeunesse dont même les grands-parents sont parfois nés après 1945, selon les organisateurs.

L’objectif d’examiner la pluralité des mises en récit de l’Europe a été atteint. Comme la réception des mesures prises est difficile à mesurer, il s’est toutefois avéré difficile de répondre à la question de savoir comment transmettre l’Europe à la jeunesse. La critique d’un prisme national maintenu semble justifiée. Pour pouvoir avancer dans l’établissement d’un récit commun, la question de savoir comment y parvenir même devrait être posée d’un point de vue européen. Néanmoins, les nombreuses interventions axées sur les pays de l’Est ont proposé une démarche très concrète qui, dans un premier temps, pourrait permettre un rapprochement identitaire européen: l’abolition de ce qu’Emmanuel Droit appelait un rideau de fer de la mémoire.

Aperçu des interventions:

Niels F. May (IHA) et Mathieu Marly (Labex EHNE) : Mots d’accueil

Sébastien Ledoux (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : Introduction

Premier axe thématiques : Les temps de l’Europe
Présidence : Sébastien Ledoux (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Emmanuel Droit (Sciences Po Strasbourg) : Pour une mémoire européenne à parts égales : Quelle culture mémorielle de la Seconde Guerre mondiale dans l’Europe post-guerre froide ?

Korine Amacher (université de Genève) : Quelle place pour l’Europe dans les manuels scolaires postsoviétiques d’histoire de la Russie ?

Christine Cadot (université Paris 8) : L’Europe au musée

Steffen Sammler (Georg-Eckert-Institut) : Histoire (trans)nationale ? Représentations de l’Europe dans les manuels d’histoire française et allemande du XXe siècle

Patrick Cabanel (université de Toulouse) : Littérature scolaire : des tours de la nation au tour de l’Europe ?
Quelle Europe pour la jeunesse ?

Deuxième axe thématique : Les lieux de l’Europe
Présidence : Benoît Falaize (Centre d’histoire de Sciences Po)

Edina Kömüves (université Eötvös Loránd de Budapest) : Mohàcs, où l’image de la frontière européenne dans l’empire des Habsbourg

Eriona Tartari (Academie des Études Albanilogiques, ASA Tirana) : Traductions et transferts d’œuvres des littératures de jeunesse en Albanie

Clarisse Didelon Loiseau (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : L’Europe vue d’Europe et du monde : représentations spatiales d’étudiants

Troisième axe thématique : Les vecteurs de transmission de l’Europe
Présidence : Tristan LECOQ (Sorbonne Université)

Raphaelle Ruppen-Coutaz (université de Lausanne) : Former les enseignants « à l’esprit européen » pour transmettre l’idéal fédéraliste aux jeunes dans les années 1950

Philippe Vonnard (université de Lausanne) : Transmettre l’Europe du football à la jeunesse : le tournoi international des juniors

Anne Bruch (Archives historiques de l’Union européenne – Centre de recherche Alcide De Gasperi) : « Appel de l’Europe » – Des films européens pour la première génération européenne

Eléonore Hamaide-Jager (université d’Artois et ÉSPÉ Lille Nord-de-France) : L’Europe en littérature de jeunesse: un espace à investir ?

Rachel Ceyrac et Julie Richard d’Alsace (LabEx EHNE et ESPE Nantes) : Enseigner l’Europe : les ressources pédagogiques de l’Encyclopédie pour une Histoire Nouvelle de l’Europe (EHNE)

Benoît Falaize (Sciences Po Paris), Simon Perego (Labex EHNE), Niels F. May (IHA) : Conclusion et discussion finale


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