Le récent tournant transnational et global des sciences sociales 1 a favorisé parmi les spécialistes de l’histoire coloniale et impériale, une relecture de l’histoire des empires coloniaux à la lumière des effets globalisants 2. Ainsi la notion de « transimpérialité », conceptualisée par Daniel Hedinger et Nadin Heé 3, apporte un renouvellement dans l’étude des empires, au point de s’imposer comme un nouveau champ d’étude. L’enjeu est de dépasser l’analyse comparée des formations impériales pour se focaliser sur les mouvements de population, les transferts de savoirs, de marchandises entre empires 4 mais également de mettre en avant les réseaux et les échanges d’idées entre personnes luttant pour la fin des dominations impériales 5.
Les colloques sur cette nouvelle approche se sont multipliés depuis 2017, ils ont permis de montrer que les différents empires n’ont pas évolué en vase clos, que l’analyse territoriale par colonie était réductrice et que les échanges, circulations et transferts ont été nombreux influençant leur construction et leur évolution 6. En France, un colloque intitulé « Transimpérialités contemporaines » organisé à l’Université Paris-Diderot par Laurent Dedyrvère et Uwe Puschner (FU Berlin) les 14 et 15 mars 2019 a poursuivi dans cette voie 7.
La condition sine qua non de cette méthode est de s’intéresser simultanément au moins à deux puissances impériales et d’observer les phénomènes de connectivité, de coopération et de compétition. Dans quelle mesure ces différentes formes de contact entre les empires apportent-ils des transferts, changements et modifications ? C’est principalement la dimension modificatrice des relations transimpériales qu’il s’agit de révéler. Cela conduit ici à étudier des schémas avec deux puissances coloniales au moins et les colonisés comme acteurs essentiels 8.
Par ailleurs, les études coloniales et postcoloniales semblent se focaliser sur les perspectives masculines (rapports, mémoires des administrateurs coloniaux, des militaires, des missionnaires, etc.) et sur des analyses territoriales réductrices, limitées à l’étude d’une colonie spécifique, ignorant le plus souvent les femmes africaines/occidentales et le contexte transimpérial dans lequel les grandes puissances colonisatrices rivalisent et ou – parfois- collaborent. L’approche privilégiée ici intègre les perspectives développées par les postcolonial studies. Elles soulignent que l’histoire transimpériale s’éloigne du « Great Powers’ game », d’une histoire impériale qui se limiterait aux principales figures du pouvoir en Europe. D’autres échelles sont choisies. La recherche s’intéresse à ce que les chercheurs anglo-saxons appellent les « grassroots levels », aux acteurs restés anonymes 9, hommes mais aussi notamment femmes, que le récit historique a longtemps ignorés. Il importe d’étudier les trajectoires transimpériales des femmes colonisatrices et, particulièrement, d’entendre les colonisées, d’analyser leur perception de l’impérialisme ; montrer quelle a été leur marge de manœuvre, leur agency 10. Cette journée d’étude, mêlant les questions sur les transimpérialités et l’agency féminine, vise à explorer les évolutions en Afrique dans la durée, du XIXème siècle à nos jours.
Axes thématiques proposés
Les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes suivants (qui ne sont pas exclusifs) :
Axe 1 – Regards féminins sur les « autres » empires : comparaisons (trans)impériales
• femmes occidentales ou africaines
• regards des femmes occidentales sur les Africaines : solidarité féminine ou exploitation raciste ?
• phénomènes d’imitation, de transfert ou de rejet, regards portés sur d’autres empires ou colonies : commentaires, comparaison ;
• Regards des femmes africaines.
Axe 2 – « Aller aux colonies » et faire l’expérience de la transimpérialité : destins croisés de femmes occidentales en Afrique.
• séjours dans un autre empire colonial ; expérience de différents empires coloniaux successifs ;
• séjours dans différentes colonies du même empire ;
• connections transimpériales entre colonisatrices ;
• les femmes occidentales, victimes du patriarcat et complices du colonialisme11.
Axe 3 – Circulations, échanges et transferts culturels en Afrique : trajectoires de subalterns et agency
• connections, liens, contacts ;
• agency transimpériale ;
• possibilités et difficultés des connections transimpériales entre colonisées ;
• déplacements transfrontaliers, surtout entre différents empires coloniaux.
Limitation géographique
la globalité du continent africain (notamment les colonies allemandes mais sans exclusivité).
Notes
1 Akita Shigeru, « Introduction: From Imperial History to Global History », in Shigeru Akita (ed.), Gentlemanly Capitalism, Imperialism, and Global History, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002, pp. 1-16.
2 Thomas Martin, Andrew Thompson, « Empire and Globalisation: From ‘High Imperialism’ to Decolonisation », The International History Review, vol. 36, no 1, 2014, pp. 142–170.
3 Daniel Hedinger, Nadin Heέ, « Transimperial History - Connectivity, Cooperation and Competition », Journal of Modern European History, 16, no. 4, p. 429-452, 2018 ; voir aussi : S. Banerjee, Transimperial. Victorian Literature and Culture, vol. 46, n° 3-4, 2018, p. 925-928, https://www.cambridge.org, doi:10.1017/S1060150318001195, page consultée le 29/08/2019.
4 James R Fichter. (ed.), British and French Colonialism in Africa, Asia and the Middle East Connected Empires across the Eighteenth to the Twentieth Centuries, New York, Palgrave Macmillan, 2019.
5 Op. cit p. 439.
6 Voir notamment : The Production of Imperial Space. Empire and Circulations (18th-20th Centuries), Paris, 23/11/2017 – 24/11/2017 ; Transimperial Cooperation and Transfers in the Age of Colonial Globalization. Towards a Triangular History of Colonialism ? Erfurt/ Gotha, 22/03/2018 – 24/03/2018 ; Internationalization of Colonial Knowledge Production, Leipzig, 20/09/2018 – 21/09/2018 ; Pacific Russia : Transnational and Transimperial Perspectives on Modern Northeast Asia (from 18th Century until the 1930s), Bielefeld, 26/10/2018 – 27/10/2018 ; Moderne Transimperialitäten, 2019 - Paris ; Empire and Globalization(s) : Circulations, Exchanges and Trans-Imperial Cooperation in Africa, 19th-20th Century, 2019 - Lausanne. Parmi les colloques et workshops plus anciens, voir : Russland transimperial ? Grenzziehungen vom 18. bis zum 20. Jahrhundert, Köln, 21.01.2012 ; Les expériences coloniales allemandes : échanges, transferts, circulations (1850-1950), Strasbourg, 04/06/2013 – 05/06/2013.
7 Actes à paraître en 2021, Berlin, Peter Lang.
8 Daniel Hedinger, Nadin Heέ, « Transimperial History, op. cit., 443.
Gary MAGEE, Andrew THOMPSON, Empire and Globalisation: Networks of People, Goods and Capital in the British World, c. 1850-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
9 Pour un modèle de micro-histoire transimpériale, cf. M’Hamed Oualdi, A Slave between Empires. A Transimperial History of North Africa, New York, Columbia University Press, 2020, très éclairante. Alain MARIE (sous la direction de) L’Afrique des individus, Paris, Karthala, 1997, 444 p.
10 Anne Montenach, « Agency : un concept opératoire dans les études de genre ? », Rives méditerranéennes, n°41, 2012.
L’agency ou agentivité est dérivée de la notion d’« agent » et employée notamment dans les domaines de la philosophie, de la psychologie, des sciences sociales et de l’ethnologie. Dans les études d’histoire coloniale, elle désigne la capacité d’agir des individus ou des peuples et d’influencer le cours de l’histoire. Elle peut également être décrite comme la marge de manœuvre des populations africaines ou de leurs souverains dans la soumission de leurs territoires.
11 Voir Thürmer-Rohr Christina, « Mittäterschaft von Frauen: Die Komplizenschaft mit der Unterdrückung », dans R. Becker et B. Kortendiek (éd.), Handbuch Frauen- und Geschlechterforschung: Theorie, Methoden, Empirie, Wiesbaden, Springer-Verlag, 2010, . p. 88