T. Ricciardi: Eine kurze Geschichte der italienischen Migration in der Schweiz

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Titel
Eine kurze Geschichte der italienischen Migration in der Schweiz.


Autor(en)
Ricciardi, Toni
Erschienen
Zürich 2023: Seismo Verlag
Anzahl Seiten
234 S.
Preis
€ 38,00
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Laura Bernasconi, Histoire Contemporaine, Université de Fribourg

L’histoire de l’émigration italienne en Suisse dispose certes d’une historiographie riche; néanmoins, comme l’écrit Sandro Cattacin dans sa préface, l’ouvrage de Toni Ricciardi offre un regard inédit sur les événements de cette page d’histoire contemporaine. À travers le récit des vicissitudes de personnes longtemps considérées uniquement comme une main-d’œuvre, Ricciardi parvient à raconter les processus délicats et complexes de l’histoire migratoire avec une narration fondée sur des bases scientifiques, sans jamais délaisser les aspects humains.

Le livre retrace l’histoire de l’émigration italienne à partir des récits des Italiens et des Italiennes présents en Suisse dès le Moyen Âge, soulignant l’importance historique de leur présence sur le territoire helvétique. Une première section expose l’évolution de la Suisse en tant que pays d’immigration au cours des derniers siècles, tout en rappelant que le peuple suisse lui-même a une riche tradition d’émigration qui a contribué à façonner l’histoire du pays. Bien que les Suisses aient eux-mêmes connu les difficultés de l’émigration, ils n’ont pas hésité à dénigrer et exploiter les travailleurs et travailleuses étranger·ère·s, en particulier en leur proposant des conditions d’hébergement insalubres, des semaines de travail trop lourdes et des salaires dérisoires qui leur permettaient à peine de mettre de l'argent de côté. Les immigré·e·s étaient soumis dès leur arrivée en Suisse à des contrôles sanitaires dénigrants, puis souvent maltraités, voir abusés, avant d’être oubliés par les autorités italiennes et suisses. Cette attitude est en partie liée à l’afflux massif d’immigré·e·s. Entre la seconde moitié du XIXe siècle et la fin des années 1980, on estime qu’environ cinq millions de personnes sont arrivées en Suisse, dont la moitié après la Seconde Guerre mondiale. La majorité sont travailleurs et travailleuses italien·ne·s, mais, comme l’explique l’auteur, il est difficile d’obtenir des chiffres précis en raison du manque de statistique sur le travail précaire et non déclaré.

Ricciardi périodise l’histoire de l’immigration en quatre périodes (1830–1848 : immigration de main-d'œuvre allemande ; 1850–1914 : immigration d'environ un demi-million de personnes ; 1945–1970 : grande immigration italienne ; dès les années 1980 : diversité croissante des pays d'origine des immigrés) et souligne qu’environ un million de personnes ont immigré en Suisse après la Seconde Guerre mondiale, un flux qui n’a commencé à diminuer qu’à partir de 1990.

Avant même la Première Guerre mondiale, l’afflux massif d’immigré·e·s italien·ne·s vers la Suisse avait déjà commencé, stimulé par les grands chantiers d’ingénierie de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’immigration italienne en Suisse augmente exponentiellement. Ricciardi explique les événements qui ont conduit à cet afflux massif et les raisons pour lesquelles le gouvernement italien a accepté les premiers accords désavantageux proposés par la Suisse, notamment celui du 22 juin 1948.1

Pour surmonter les conditions de vie difficiles en Suisse, les Italiens et les Italiennes ont créé des associations et des communautés dès le début du XXe siècle. Parmi les initiatives les plus marquantes figurent la Missione Cattolica Italiana, fondée en 1900 à Genève, ainsi que le premier secrétariat ouvrier, créé en 1903 au sein d’une communauté italienne de Carouge. Toujours à Genève, en 1925, naît la première Colonia Libera Italiana, qui accueillait les exilé·e·s du fascisme. En 1930, Zurich voit la création d’une autre association, laquelle donnera naissance en 1943 à la FCLIS (Federazione delle Colonie Libere italiane in Svizzera). Cette fédération, initialement orientées vers la lutte contre le fascisme, deviendra le principal lieu d’accueil pour les immigré·e·s. L'histoire de l'associativisme italien en Suisse est extrêmement importante et a joué un rôle fondamental dans la lutte pour les droits des travailleuses et travailleurs. En rappelant son rôle tout au long de l’ouvrage, Ricciardi parvient à faire comprendre au lecteur son importance.

À partir du chapitre trois, la thématique des saisonnier·ère·s prédomine. L’auteur s’arrête sur la situation précaire des travailleurs saisonniers, assignés à tâches éprouvantes et socialement marginalisés. Ricciardi met en lumière les lois qui ont favorisé leur exploitation, le travail au noir et l’indifférence des gouvernements suisse et italien face à leurs conditions de vie précaire. Ces politiques ciblaient surtout les ouvriers analphabètes ou peu éduqués du sud de l’Italie. La Suisse a dès le départ voulu « des bras et non des personnes », selon la célèbre formule de Max Frisch. L’auteur évoque le mal-être des immigré·e·s italien·ne·s du sud de la péninsule à travers des témoignages directs de travailleuses et travailleurs sur les harcèlements et injustices subies. En évoquant ces récits, Ricciardi remet au centre de la narration les êtres humains avec leurs rêves et leurs familles qui se cachent derrière les statistiques officielles.

La tragédie de Mattmark, survenue le 30 août 1965 lors de la construction d’un barrage dans le Valais, marque un tournant. Cet événement tragique, qui cause la mort de 88 personnes (dont 56 Italiens), est selon l’auteur un moment clé de la prise de conscience en Suisse de la dureté des conditions de vie des travailleurs et travailleuses étrangères. La souffrance de nombreux immigré·e·s commence alors à faire l’objet de contestations et à susciter l’indignation de la population. Ricciardi saisit cette occasion pour dénoncer la réaction du gouvernement suisse, qui ne fait preuve d'aucune humanité envers les victimes, même face à une tragédie d’une telle ampleur.

Dans le chapitre 2.5, l’auteur explore les initiatives xénophobes qui ont secoué la politique suisse dès la fin des années 1960, notamment l’initiative Schwarzenbach du 20 mai 1969. Il décrit les tumultes qu'elle a causés, et comment le gouvernement suisse s'est retrouvé confronté, d’une part, à une opinion publique qui rejetait les initiatives visant à contrôler les étrangers et les étrangères, et, d'autre part, au risque d'une crise politique liée à la mauvaise gestion du flux migratoire, imputable principalement à la politique de « laissez-faire » instaurée depuis l’accord de 1948 et arrivée désormais à ses limites, qui conférait aux entreprises une liberté totale dans la gestion des immigrés. Le chapitre 4.7 évoque les enfants des familles italiennes, illustrant les injustices qu’ils ont subies, obligés parfois de vivre cachés ou séparés de leurs parents.

Malgré ces circonstances difficiles, Ricciardi montre comment l'écart entre Italiens et Suisses s'amenuise progressivement grâce au sport, au cinéma et à la nourriture, de même que par la culture italienne de la « Dolce Vita ». À partir de la deuxième moitié des années 1980, l'amélioration des conditions économiques en Italie apporte du bien-être à l'intérieur de la nation, et entraîne une diminution de l'émigration.

L’humanité profonde de l’auteur transparaît tout au long de l’œuvre, et sa narration rend le texte à la fois clair et agréable à lire. Le lecteur s’immerge dans l’histoire, porté par l’envie de découvrir les événements qui ont façonné la vie des Italiennes et des Italiens en Suisse. Le texte restitue les expériences des Italiennes et des Italiennes adoptant leur point de vue, abordant de nombreuses thématiques liées à l’expérience migratoire : les peurs, l’incertitude économique, l’exploitation, la clandestinité, la violence (en particulier celle subie par les travailleuses et les travailleurs saisonniers), la famille et les liens affectifs, l’associationnisme, mais aussi le sport et les films. Dès les premières pages, l’ouvrage met en lumière les différences culturelles entre Italiens et Suisses, et illustre comment les premiers ont été discriminés par ces derniers depuis le début de l'immigration de masse à la fin du XIXᵉ siècle et en partie jusqu'à nos jours. L’auteur analyse comment ce sentiment d’infériorité provoqué par les discriminations a été vécu par les travailleurs et travailleuses, et son évolution au fil du temps jusqu’à aujourd’hui. Avec son livre, Ricciardi redonne une humanité à celles et ceux qui ont contribué à construire la Suisse.

Note:
1 Cet accord entre l’Italie et la Suisse, premier d’une longue série, avait pour objectif de réglementer la migration de la main-d’œuvre italienne et de tester le modèle migratoire de rotation.

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