Groupes cathédraux et complexes monastiques: le phénomène de la pluralité des sanctuaires à l’époque carolingienne

Groupes cathédraux et complexes monastiques: le phénomène de la pluralité des sanctuaires à l’époque carolingienne

Organisatoren
Marie-Laure Pain, Deutsches Historisches Institut Paris
Ort
Paris
Land
France
Vom - Bis
19.04.2013 -
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Von
Marie-Laure Pain, Deutsches Historisches Institut Paris

Le 19 avril 2013 fut organisé, à l’Institut historique allemand de Paris, une table ronde sur le phénomène de la pluralité des sanctuaires dans les groupes cathédraux et les complexes monastiques à l’époque carolingienne. Cette question a été ouverte dès le XIXe siècle et aujourd’hui encore, les historiens, historiens de l’art et archéologues poursuivent leur recherche. Le but essentiel de cette journée était de dresser un premier bilan de ce qui ressort de cette pluralité. L’analyse de la morphologie, des fonctionnalités, des éventuelles complémentarités et des spécificités de ces complexes ont été au cœur des propos. Cette réunion était également l’occasion de reposer la question de ce qui a conditionné ce phénomène.

MICHAËL WYSS (Saint-Denis), archéologue à Saint-Denis, fit un communiqué sur l’ensemble monumental de l’abbaye de Saint-Denis aux temps mérovingien et carolingien. Il y rappelle les découvertes réalisées lors des fouilles urbaines, menées à Saint-Denis lors de la reconstruction du quartier de la basilique, au nord de l’actuelle cathédrale, d’une succession d’églises dépendant de l’ancienne abbatiale. La formation de cet ensemble monumental remontait à l’époque mérovingienne. Au moins trois églises, reliées entre elles par des annexes et des galeries, y furent édifiées à la périphérie de la nécropole ad sanctos qui s’est développée avec l’essor du culte de saint Denis. L’utilisation funéraire de tous ces édifices nous assure de leur lien fonctionnel avec la basilique. Pourtant, elles subirent, dans le courant de l’époque carolingienne, des modifications architecturales qui pourraient être liées à l'organisation paroissiale de l’agglomération civile et qui aurait ainsi assuré leur pérennité pour les siècles suivants.

MARIE-LAURE PAIN (Paris), doctorante en histoire de l’art sous la direction de Jean-Pierre Caillet à Nanterre, a évoqué le cas de Saint-Riquier. La grande abbaye, construite sous Angilbert, nous est connue grâce à des sources textuelles, dont la Chronique de Saint-Riquier, aux fouilles archéologiques d’Honoré Bernard et aussi grâce à deux copies de miniature la représentant. La confrontation de ces différentes sources a permis de mettre au jour un complexe monastique à plusieurs églises reliées par des galeries à arcades: Notre-Dame-et-tous-les-apôtres au sud du complexe, Saint-Benoît à l’est et l’église Saint-Riquier au nord. Cette dernière avait la particularité de présenter deux sanctuaires, quasi similaires architecturalement, un dédié au saint éponyme et un dédié au Sauveur. Ce vocable est à mettre en étroite relation avec les débats théologiques qui ponctuèrent le règne de Charlemagne, notamment sur l’adoptianisme. Les trois sanctuaires et le vocable du Sauveur sont, parmi d’autres éléments soulignés lors de l’intervention, des preuves de l’attachement de l’abbé Angilbert au dogme trinitaire professé par le roi et ses conseillers.

CECILE COULANGEON (Nanterre) est doctorante en histoire de l’art sous la direction de Jean-Pierre Caillet. Lors de cette table ronde elle a présenté les églises de l’abbaye de Ferrières-en-Gâtinais. Ces deux églises furent placées dans le prolongement l’une de l’autre: la chapelle Notre-Dame de Bethléem à l’ouest est la plus ancienne et présente des vestiges qui pourraient remonter aux VIIe et VIIIe siècles; l’église abbatiale Saint-Pierre et Saint-Paul à l’est, dont la construction fut lancée sous l’abbatiat d’Aldric entre 821 et 828, doit sa popularité à l’incroyable plan octogonal de la croisée de son transept (édifiée au XIIIe siècle mais dont les origines ont toujours été attribuées à la première église carolingienne d’Aldric). La topographie générale de l’abbaye, avec ces deux édifices placés dans le prolongement l’un de l’autre, reste relativement atypique à l’époque carolingienne. Leurs fonctionnalités restent méconnues pour l’époque carolingienne mais les apports de sources plus récentes (textuelles et architecturales) permettent d’entrevoir deux édifices aux fonctions distinctes mais complémentaires, desservis quotidiennement par les religieux et reliés physiquement par un système de galerie.

GERALDINE MALLET (Montpellier) est professeur d’histoire de l’art médiéval. Elle fit une conférence sur les abbatiales „carolingiennes“ de la zone nord orientale des Pyrénées. Dès la fin du VIIIe siècle et au cours du siècle suivant, plusieurs monastères furent fondés: Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech, Saint-Génis-des-Fontaines, Saint-André de Sorède, Saint-Michel de Cuxa, Saint-Estève (près de Perpignan) et un autre, aujourd’hui entièrement disparu, près d’Ille-sur-Têt. Aux abbatiales à nef unique ou de type basilical à trois vaisseaux, avec transept très saillant et chevet orienté à absides multiples, de Saint-Génis, Saint-André et Cuxa, celle d’Arles-sur-Tech se distingue par une double polarité, avec un chœur principal occidenté auquel répondent trois chapelles orientales. Bien que datant selon les actes de consécration de 1046 et de 1157, l’abbatiale a selon toute vraisemblance conservé des structures d’époque carolingienne tout à fait originales dans le paysage monumental méridional, ce qui soulève d’innombrables questions d’ordre architectural et liturgique notamment.

NICOLAS REVEYRON (Lyon), professeur d’histoire de l’art et archéologie, intervint sur les deux églises de Cluny: l’abbatiale et l’ecclesia beatae Mariae, positionnée dans le prolongement du chapitre et en relation directe avec lui. L’une et l’autre ont été reconstruites par Hugues de Semur, signe de leur importance réciproque. L’ecclesia beatae Mariae était associée à des fonctions funéraires. Il s’agit là, vraisemblablement, d’une transformation, fréquente à l’époque tardive dans le monde clunisien, de l’église mariale en lieu d’inhumation pour des personnages importants des monastères. Or, il s’agissait en réalité d’une église, au plein sens du terme. Parallèlement, les recherches menées sur la signification de l’église mariale dans le contexte clunisien laissent penser, comme l’avait proposé déjà Mabillon pour Cluny, que cet édifice pourrait être un héritage plus ancien encore, celui qui est cité dans la charte de donation de Guillaume le Pieux. Dans ces conditions, cette organisation en deux lieux de culte reflète très vraisemblablement un état carolingien tardif.

JEAN TERRIER (Genève) est archéologue et professeur à l’unité archéologique classique de l’université de Genève. Il a proposé une communication sur le groupe épiscopal de Genève au haut Moyen Âge, connu pour ces sanctuaires multiples. C'est vers 380 que le chantier de la première cathédrale de Genève arrive à son terme, un baptistère étant édifié dans le prolongement de sa sacristie sud. Au début du Ve siècle, un immense chantier est ouvert afin de réaliser une seconde cathédrale reliée à la première par un atrium. Durant les VIIe et VIIIe siècles, une troisième cathédrale est érigée à l'est, dans l'axe du groupe épiscopal, à l'arrière des baptistères. Ce nouveau sanctuaire adopte un plan pratiquement carré dont le chevet est terminé par trois absides. Le bas-côté sud de ce nouvel édifice à trois nefs est construit sur l'emplacement de l'église-reliquaire antérieure, en l'intégrant partiellement. Cette cathédrale orientale, qui reprend la fonction funéraire de l'église-reliquaire, subit de profondes transformations durant l'époque carolingienne.

CLAIRE DE BIGAULT DE CAZANOVE (Paris) doctorante en histoire médiévale sous la direction de Régine Le Jan, Geneviève Bührer-Thierry et Bernhard Jussen, a évoqué le cas des différentes communautés ecclésiastiques autour de l’évêque de Freising à l’époque carolingienne. En 739, la réforme de Boniface réorganise la vie ecclésiastique en Bavière. Quatre évêques sont à la tête des sièges de Freising, Passau, Ratisbonne et Salzbourg. Ils sont aussi, pour la plupart, abbés d’une abbaye du siège épiscopal dont les lieux de culte ont été, à Freising, réunis en un même endroit. Les sources mentionnent la cathédrale Sainte-Marie, un monasterium, mais aussi une église Saint-Benoît et une autre dédiée à saint Pierre au milieu du IXe siècle. Dès 842, les actes du cartulaire de Freising mentionnent des clerici aux côtés des moines et laissent apparaître une organisation de vie communautaire entre ces différents groupes.

JACQUES LE MAHO (Rouen) est chargé de recherche au Centre de recherches archéologiques et historiques anciennes et médiévales Michel de Boüard, à l’université de Caen Basse-Normandie. Son intervention eut pour sujet les groupes ecclésiaux de Normandie de la cathédrale de Rouen (IVe-IXe s.) et du monastère de Jumièges (VIIe-IXe s.). Les monnaies du Bas-Empire trouvées dans les fouilles de la cathédrale de Rouen invitent à réexaminer la question des origines du groupe ecclésial de Rouen à la lumière du De Laude Sanctorum de saint Victrice (vers 396), où sont évoqués les travaux de construction d’une des deux basiliques. C’est à partir de ce complexe paléochrétien que de larges modifications furent opérées à l’époque carolingienne. Enfin, à Jumièges, l’existence des deux églises Saint-Pierre et Notre-Dame reconstruites conjointement au IXe siècle invite à une réflexion sur l’origine des couples d’églises Notre-Dame – Saint-Pierre en milieu monastique, et sur le devenir de ces couples ecclésiaux à l’époque carolingienne.

CHRISTIAN SAPIN (Auxerre), historien de l’art et archéologue, est directeur de recherche au Centre d’Etudes médiévales d’Auxerre. Il a présenté une étude sur le groupe cathédral d’Auxerre et l’abbaye Saint-Germain, bien connue pour ses cryptes, au milieu du IXe siècle. Les travaux récents, comme la relecture des sources textuelles, ont montré que les investissements des puissances carolingiennes n'ont pas uniquement porté sur l'abbaye mais qu'au même moment plusieurs sanctuaires furent restaurés dans la ville. Après les premiers travaux de Jean Charles Picard sur la topographie chrétienne d'Auxerre, Christian Sapin proposa de revisiter ces sites à la lumière de l'archéologie, et d'entrevoir les enjeux en présence entre les acteurs du pouvoir dans la ville et l'image d'une renaissance carolingienne au sein des lieux de culte.

PASCALE CHEVALIER (Clermont-Ferrand), maître de conférences en histoire de l'art et archéologie médiévales, a évoqué le cas de Poreč en Croatie. Dès le dernier quart du IVe siècle le groupe épiscopal comprend plusieurs espaces associés notamment deux églises auxquelles est ajouté un baptistère dès le VIe siècle. C’est à cette période que l’évêque Euphrasius fit construire un pôle mémoriel ainsi qu’un palais épiscopal. Les reconstructions carolingiennes conservèrent la majorité des sanctuaires mais y apportèrent des modifications.

Enfin, JEAN-PIERRE CAILLET (Nanterre), professeur d’histoire de l’art médiéval, a conclu cette journée. S’il est difficile de synthétiser en raison de la diversité des solutions architecturales et organisationnelles, il est néanmoins possible de dégager un dénominateur commun aux fonctions des groupes à sanctuaires multiples. Ce qu’il faut avant tout retenir de cette journée est la pertinence de prendre en compte tant les groupes cathédraux que les complexes monastiques tous deux précocement touchés par ce phénomène de pluralité. Celui-ci doit être défini avec souplesse car on rencontre à la fois des édifices dissociés les uns des autres, voir distants, tout comme des sanctuaires bien distincts mais au sein d’une même unité architecturale. Enfin, ce qui ressort de cette journée est la nécessité de ne pas occulter ce qui fut construit avant la période carolingienne et qui a alors conditionné l’évolution de ces groupes à sanctuaires multiples. Pour les temps carolingiens, on peut finalement relever une dominante: celle d’un souci certain pour le déploiement spatial des célébrations réparties dans le temps de l’année liturgique. Ainsi, le christianisme domine et occupe à la fois le temps et l’espace.

Les propos de J.-P. Caillet résument ce qu’il nous faut retenir de cette fructueuse journée. Nous espérons que celle-ci, qui a pleinement réussi à mettre en valeur le traitement du sujet de manière pluridisciplinaire et a poursuivi la réflexion sur les groupes d’églises, suscitera chez les historiens, les historiens de l’art et les archéologues des vocations et l’envie d’approfondir dans le futur cette thématique. Une publication des actes de la table ronde dans la série „Ateliers“ de l’Institut historique allemand de Paris est prévue.

Aperçu du programme

Michaël Wyss: L’ensemble monumental de l’abbaye de Saint-Denis aux temps mérovingien et carolingien

Marie-Laure Pain: L’abbaye de Saint-Riquier: églises et liturgie

Cécile Coulangeon: L’abbaye Saint-Pierre et Saint-Paul de Ferrières-en-Gâtinais. Un complexe monastique à deux églises à l’époque carolingienne

Géraldine Mallet: Les abbatiales „carolingiennes“ de la zone nord orientale des Pyrénées

Nicolas Reveyron: Les deux églises de Cluny: un héritage carolingien, marqueur de l’ecclésiologie clunisienne

Jean Terrier: Le groupe épiscopal de Genève autour du haut Moyen Âge

Claire de Bigault de Cazanove: Les différentes communautés autour de l’évêque de Freising

Jacques Le Maho: Groupes ecclésiaux de Normandie, topographie et fonctions: autour de deux études de cas, la cathédrale de Rouen (IVe–IXe) et le monastère de Jumièges (VIIe–IXe)

Christian Sapin: Entre groupe cathédral et ensemble monastique, l’exemple d’Auxerre au milieu du IXe siècle

Pascale Chevalier: L’évolution du groupe épiscopal de Poreč (Croatie) au haut Moyen Âge

Jean-Pierre Caillet: Conclusion


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