Les historiens des relations entre juifs et chrétiens débattent depuis des années pour rendre compte avec justesse et précision de la topographie des quartiers médiévaux. Nombreux sont ceux qui contestent et nuancent la notion de ségrégation. Après avoir envisagé des différences entre normes et pratiques, il s’avère que, au-delà même de l’attention nécessaire à la chronologie de la distinction, de la séparation, des expulsions, les frontières entre communautés étaient bien plus poreuses, les rapports bien plus complexes que le laisserait penser une stricte application des statuts et des normes lus au sens littéral, parfois sans contextualisation convenable.
La définition de ghetto dans l’Italie moderne se révèle fort éloignée de la vision simplifiée qui mettrait en avant l’enfermement des juifs. Les travaux récents des historiens de l’Italie (XVIe-XIXe siècles) confortent les interrogations des médiévistes qui s’attachent à une histoire sociale, sans pour cela nier le poids de la religion. Ils les interrogent également en présentant des mécanismes et des lois dont l’origine est médiévale voire antique mais dont l’exercice diffère de la réalité antérieure au XVe siècle. L’un des points nodaux place en regard la constitution puis la vie des quartiers et le statut juridique des minorités. Les actes nommant les juifs servi, serfs du roi, paraissent concorder avec une interdiction de posséder des biens fonciers ou immeubles supposées être la loi médiévale. Cependant, une relecture des privilèges accordés aux juifs et une synthèse des nombreuses monographies et études de cas, en particulier de la Provence aux terres catalanes, majorquines, valenciennes et aragonaises, comparée aux résultats au royaume de Germanie et même en Angleterre, montrent que des généralisations et des simplifications sans précautions conduisent peut-être à des faux sens.
Pour s’approcher au plus près des réalités complexes qui conditionnaient l’existence des juifs médiévaux : leurs capacités d’habiter et leurs droits légaux, nous souhaitons procéder prudemment en analysant collectivement des dossiers de documents d’archives et en les proposant à l’interprétation de chercheurs spécialistes d’autres aires géographiques, d’autres communautés religieuses, d’autres thématiques, pour un travail interdisciplinaire attentif stimulant chaque discipline.
Le thème choisi pour cette rencontre fait suite à celui de la première rencontre de Perpignan en 2020. Il s’intègre dans une démarche plus vaste puisque notre équipe participe au colloque Quartiers et frontières (Visa pour l’image, Université de Perpignan, septembre 2020). Nous envisagerons l’histoire des maisons proches des murailles, des maisons mitoyennes, des galeries autour d’une cour intérieure ou via privata, sans doute le vico italien, les maisons donnant sur des rues « hors le » quartier juif. Ces lieux à la fois sensibles, stratégiques, symboliques nous sont accessibles à travers des actes de mutations, de ventes, de legs... des cadastres, des documents fiscaux, des chartes de privilèges, parfois des descriptions lors de procès. La situation juridique, légale et sociale des acteurs sera examinée en lien avec la situation topographique de leurs biens ou de leur habitat. Les points de vue de l’historien et du juriste seront croisés. Il conviendra d’examiner les dossiers de sources latins, vernaculaires et hébreux.