Sous le titre « Westkunst – Zeitgenössische Kunst seit 1939 » [Art de l’Ouest – Art contemporain depuis 1939], une grande exposition s’est ouverte en 1981 dans les halles du parc des expositions de Cologne. Conçue par le critique d’art Laszlo Glozer et le commissaire Kasper König, elle se composait de douze sections historiques et d’une section contemporaine, intitulée « Heute » [Aujourd’hui], et présentait quelque 700 à 800 pièces. On pouvait y découvrir, en plus d’une sélection d’œuvres d’art et de documents d’archives, des reconstitutions d’accrochages d’expositions et d’ateliers d’artistes, ainsi que neuf films réalisés spécialement pour l’occasion. Dans l’ensemble, ce panorama centré sur l’Ouest mettait en avant les thèmes avant-gardistes de la « liberté » et de l’« expression individuelle », à forte connotation politique. Pour les organisateurs, la constellation des œuvres historiques exposées était représentative d’une « seconde vague de la modernité » qui s’était déployée selon eux jusqu’en 1968, en traversant la Seconde Guerre mondiale. Puisant dans le potentiel « non consommé » de la modernité, l’art qu’on montrait à Cologne possédait, telle était en somme la thèse de l’exposition, une contemporanéité capable de durer dans le temps. L’architecte Oswald Ungers s’appliqua à donner une traduction visuelle et spatiale adéquate à cet ambitieux projet historiographique qui entendait montrer que la modernité avait des traits contemporains. Sa conception prenait appui sur les possibilités chorégraphiques du format d’exposition pour souligner, parallèlement aux rapports de diachronicité, la synchronicité qui caractérisait en outre les diverses personnalités et courants artistiques de la période visitée. Le public était invité à faire ainsi l’expérience sensible de l’idée défendue par les commissaires, un discours que venait encore renforcer l’accent mis sur la présence matérielle des œuvres iconiques présentées.
Piégés dans la perspective de la Guerre froide, les articles et recensions qui parurent à l’époque omirent de s’interroger sur la façon dont l’exposition naturalisait la modernité, en tant que projet continu de l’Occident. Quelques critiques, dont Thomas Strauss, pointèrent cependant du doigt un effet que nous appellerions aujourd’hui « Othering » : le titre « Westkunst » [Art de l’Ouest] faisait lever, par analogie, le concept d’un « art de l’Est ». On souligna généralement dans la presse les exclusions frappantes, dont beaucoup étaient d’ailleurs gouvernées par le marché. La vue d’ensemble que proposait l’exposition ne prenait pas en compte comme il aurait fallu ni les œuvres d’artistes femmes, ni les démarches engagées des années1970, ce qui entraîna des protestations publiques – notamment celles que firent entendre Klaus Staeck et Ulrike Rosenbach.
Au fil des quatre décennies qui se sont écoulées depuis l’exposition « Westkunst », la recherche en histoire de l’art a beaucoup œuvré pour dissiper, en misant sur une approche globale, les idées d’une hégémonie artistique de l’Ouest. Il s’est agi dans un premier temps de prêter attention à certains courants alternatifs ou marginaux de la modernité. On a mis ensuite au jour, à différentes échelles géographiques, des processus relationnels et transculturels, ce qui a fait vaciller sur leurs bases les hypothèses de phénomènes artistiques autonomes et refermés sur eux-mêmes, sans rapports ni interférences les uns avec les autres.
Notre atelier de recherche entend poser un regard neuf sur l’exposition « Westkunst », en tenant compte de ce changement de perspective. Nous invitons à réexaminer la manifestation de Cologne pour en évaluer l’universalisme implicite, l’analogie à laquelle elle a donné naissance et les exclusions qu’elle a opérées. À partir de là, nous aimerions comprendre dans quelle mesure cette grande exposition a contribué à maintenir ou à modifier le récit efficace qu’une certaine histoire de l’art a fait circuler. À cet égard, il est déterminant que l’exposition « Westkunst » se soit appliquée à mettre en scène une « seconde vague de la modernité » en tant qu’« art contemporain ». C’est en analysant la manière dont ce processus historiographique s’est accompli sous la forme et au format d’une exposition que l’on pourra s’interroger sur les effets de « Westkunst ». Dans quelle mesure les récits induits par cette exposition se poursuivent-ils implicitement dans les approches actuelles visant à la périodisation et à l’historicisation de l’art du XXe siècle ? La réception de « Westkunst » fait-elle déjà apparaître les zones de conflits qui s’ouvrent aujourd’hui lorsqu’on veut exposer l’histoire de l’art de la modernité dans un contexte global?
Réexaminer ensemble l’exposition « Westkunst » nous permettra donc d’historiciser l’idée d’une hégémonie artistique occidentale en prenant appui sur un événement concret et d’éclairer ainsi les présupposés d’une historiographie de l’art à l’époque actuelle. Une place centrale sera réservée à cet égard aux thèmes suivants :
– la situation historique du dialogue avec la modernité dans le cadre de la Guerre froide, en nous intéressant en particulier à la construction d’une identité culturelle de l’Europe (de l’Ouest);
– les récits qu’on a fait valoir, en matière d’histoire de l’art, lors de la conception, de la réalisation et de la réception de l’exposition « Westkunst », y compris leurs prémisses et leurs effets sur le plan théorique;
– la construction de ce récit relatif à l’histoire de l’art à travers la conception spatiale et temporelle de l’exposition (choix des œuvres, dispositifs de présentation, accrochage et chorégraphie);
– les relations nationales et transnationales avec d’autres expositions (par exemple la documenta 7, 1982 ; les éditions 1980 et 1982 de la Biennale de Paris ; l’exposition « Face à l’Histoire (1933-1996). Engagement, témoignage, vision » présentée en 1996-1997 au Centre Georges Pompidou à Paris; etc.);
– la constitution de fronts critiques et l’émergence de paramètres de discussion décisifs concernant la question d’exposer la modernité, un champ aujourd’hui en pleine mutation.
Les chercheuses et chercheurs désireux de participer à l’atelier et d’y donner une communication en allemand, en français ou en anglais sont invités à nous soumettre avant le 30 novembre 2021 un résumé de leur intervention (400 mots max.) et une courte biographie (200 mots max.) à l’adresse marnoux@dfk-paris.org et Maria.Bremer@ruhr-uni-bochum.de. Les frais de voyage et d’hébergement des intervenants pourront être pris en charge à certaines conditions par le DFK Paris.
Organisation scientifique :
Mathilde Arnoux (Centre allemand d’histoire de l’art, DFK Paris),
Maria Bremer (Ruhr-Universität Bochum),
Thomas Kirchner (Centre allemand d’histoire de l’art, DFK Paris)