Alors qu’il nous est encore impossible de savoir à quel moment nous aurons surmonté la crise du COVID-19, il est déjà certain que les changements qu’elle a induits dans nos existences vont encore longtemps déterminer et influencer celles-ci. Les effets massifs de la pandémie sur notre mobilité, dans notre vie privée comme professionnelle, ont également des conséquences directes sur la manière dont nous concevons notre vie, notre travail, et comment nous les organisons. Il semble ainsi que le coronavirus ait joué un rôle de révélateur – voire d’accélérateur – des métamorphoses du travail, en réalité en cours depuis longtemps, et de sa place dans nos vies. Du jour au lendemain, pour une part non négligeable de la population dite active, la maison est devenue également le lieu où s’exerce l’activité professionnelle, le télétravail brouillant les limites spatiales, mais aussi temporelles, entre travail et vie privée.
Simultanément, en raison de la fermeture des écoles, les tâches éducatives se sont ajoutées, lorsque des enfants faisaient partie du foyer, aux heures de télétravail et aux activités domestiques habituelles. Ces contraintes ont pesé beaucoup plus lourdement sur les femmes, dont la « double journée » s’est accrue d’autant, et la division genrée des tâches s’est également accentuée. Mais la pandémie a également augmenté la fracture sociale : ouvriers/ouvrières et cadres n’ont pas été soumis.e.s de la même manière aux énormes contraintes dues à cette situation exceptionnelle exigeant une réorganisation complète du quotidien. L’organisation de l’école à la maison et du télétravail a été bien plus aisée dans de spacieux appartements bénéficiant d’une bonne connexion internet et de plusieurs postes de travail que dans des familles nombreuses résidant dans des quartiers difficiles, par ailleurs bien plus touchés par la pandémie que les communes plus favorisées. Alors que la cohabitation plus étroite au sein de la famille, induite par la crise sanitaire, a quelquefois pu avoir des effets positifs dans certains ménages, pour d’autres elle a eu pour conséquence une véritable explosion des violences intrafamiliales, peut-être elles aussi liée à une plus grande difficulté à concilier travail et vie privée dans ces conditions extrêmes. Quant au télétravail, s’il a concerné en France 38% des femmes contre 28% des hommes, il n’a pu être mis en place que pour 15% des salariés les moins bien payés contre 48% de ceux dont les salaires sont supérieurs à la médiane.
Mais parallèlement à ce brouillage des limites spatiales et temporelles du travail, le confinement, puis les différentes mesures de restriction de circulation et d’activité, ont également mis en évidence le caractère indispensable du travail de certain.e.s, faisant émerger la catégorie de travailleur/travailleuse « essentiel.le ». Il est brutalement devenu évident que nos sociétés pouvaient (du moins pendant un certain temps) se passer de banquiers, de publicitaires ou de managers, mais beaucoup plus difficilement de personnes travaillant dans les métiers du soin, de la distribution et des services à la personnes (majoritairement des femmes) ou de la logistique et de l’élimination des déchets (majoritairement des hommes). Mais là aussi, si la crise a rendu plus criante le caractère discutable d’un système fondé sur l’exploitation de certains groupes humains, et si l’introduction dans le discours officiel de la catégorie de « travailleur/travailleuse essentiel.le » est remarquable, il reste à savoir si cette découverte bien tardive aura réellement des effets durables, c’est-à-dire une reconnaissance économique (et également symbolique) de ces métiers et catégories socio-professionnelles.
Dans de nombreux pays enfin, on s'est indigné du fait que le secteur culturel dans son ensemble ait été classé comme « non essentiel ». La fermeture des théâtres, des salles de concert et des musées a, dans certains cas, eu des conséquences durables pour les artistes, qui ne peuvent plus exercer leur profession, ou pas de la manière dont ils y sont habitués : Les formats virtuels ou hybrides posent de nouveaux défis à l'organisation du travail et modifient les champs professionnels ; les contraintes sanitaires, qui imposent le respect de règles de distance lors des représentations, laissent également des traces profondes dans les pratiques des acteurs/actrices ou des chanteurs/chanteuses ; de nombreuses personnes travaillant dans le secteur culturel se voient contraintes à une réorientation professionnelle. En outre, en raison de la fermeture prolongée des écoles de musique et d'art, on s'attend à long terme à une baisse spectaculaire du nombre de jeunes artistes.
Partant de ces remarques, on peut donc se demander dans quelle mesure les évolutions observées sont en rupture avec la situation précédente, ou si la pandémie n’a fait qu’exacerber des inégalités socioprofessionnelles, de genre, spatiales, qui préexistaient et intensifier des tendances déjà à l’œuvre dans nos sociétés. Dans "Travail en crise", nous nous proposons d’explorer ces questions dans une perspective interdisciplinaire.
Nous souhaitons encourager les chercheur.e.s de toute discipline à se saisir de la question des métamorphoses du travail et de la reconfiguration de ses limites en France, en Allemagne et en Europe : comment les frontières entre travail et vie privée ont évoluées et se sont déplacées, quelles ruptures et continuités ont marqué la redéfinition de ces domaines durant les dernières décennies. Ces bouleversements pourront également être étudiés à travers leur représentation en littérature, au cinéma, dans la bande dessinée, mais aussi au théâtre, dans la peinture et dans les médias.
Merci de bien vouloir nous adresser un court résumé de votre proposition (environ 1000 signes) en français ou en allemand ainsi qu’une brève bio-bibliographie d’ici le 1er juin 2021. Les contributions de jeunes chercheurs et chercheuses sont encouragées. Le comité scientifique adressera ses réponses à la mi-juin. Les contributions seront discutées lors d’un Workshop en ligne fin septembre 2021. Les textes définitifs (45.000 signes incluant espaces et notes) devront nous parvenir au 1er novembre.