R. Brier (Hrsg.): Entangled Protest

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Titel
Entangled Protest. Transnational Approaches to the History of Dissent in Eastern Europe and the Soviet Union


Herausgeber
Brier, Robert
Reihe
Einzelveröffentlichungen des Deutschen Historischen Instituts Warschau 31
Erschienen
Osnabrück 2013: fibre Verlag
Anzahl Seiten
262 S.
Preis
€ 39,80
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Françoise Mayer, Université Paul Valéry, Montpellier III

Depuis la fin des années 1960 dans la plupart des pays du bloc soviétique, se sont développées des formes de contestation désignées sous le terme de « dissidence ». Ce type de contestation a suscité de nombreux travaux, trop souvent enfermés dans les contextes nationaux, alors même qu’elle est très vite apparue comme un phénomène sans frontière. Le présent ouvrage nous invite à observer les dissidences à l’Est d’un point de vue résolument transnational. Il rend compte de travaux qui ont été présentés lors d’une conférence à l’Institut d’Etudes Germaniques de Varsovie en 2010.

Robert Brier en expose le cadre conceptuel en introduction. Loin d’une perspective conventionnelle de la dissidence focalisée sur les opinions et les attitudes politiques, il propose de considérer la dissidence par le prisme de la communication, invitant à mettre l’accent sur les acteurs (ceux des structures et ceux qui les contestent) et leurs modes opératoires. Il s’agit ainsi de comprendre, comment des mouvements ont pu, en dépit de différences sensibles, s’agréger dans nos perceptions, au point qu’on puisse parler de dissidence au singulier. Il s’agit aussi de se demander, ce que la dissidence doit à ces perceptions, cela implique de s’affranchir d’une vision trop prédéterminée des choses. L’attention portée aux contacts et aux canaux doit amener à mieux saisir comment la dissidence a pu participer à des transformations non seulement à l’intérieur du bloc soviétique mais aussi au-delà de ses frontières, notamment dans le contexte des débats transnationaux sur les droits de l’homme et sur la paix. Robert Brier défend ainsi une approche bien éloignée de celles qui considèrent les dissidences comme un prélude à la chute du communisme dans une vision téléologique de l’histoire. Padraic Kenney, apporte à ces réflexions programmatiques sa très riche expérience empirique. Son témoignage sur les transferts de pratiques et de modes de penser entre des groupes oppositionnels de différents pays, établi grâce à un travail minutieux auprès des acteurs, montre tout l’intérêt d’une approche qui conjugue une connaissance très fine du terrain et une mise en perspective transnationale attentive aux circulations des idées et des pratiques.

Huit études de cas sont ensuite réparties en trois sections. La première traite des contacts mutuels, des intermédiaires Est-Ouest, des discours transnationaux. A partir d’une série d’entretiens auprès d’ex-dissidents est-allemands ou tchécoslovaques, Tomáš Vilímek essaye de reconstituer leurs perceptions réciproques et leurs horizons d’attente. A partir d’une étude de la couverture médiatique de l’actualité soviétique dans les années 1965–1972, Julie Metger montre comment des correspondants occidentaux se rapprochent des acteurs « dissidents », le poids de leur implication sur leur façon de couvrir l’actualité, l’impact de ce type de couverture sur des publics engagés à l’Ouest sur d’autres terrains. Nenad Stefanov, quant à lui rappelle comment les membres de la Praxis school, en Yougoslavie, s’efforçaient, sans remettre en cause l’idéologie du système, de créer des sphères de communication autonomes.

La deuxième section contribue à éclairer les liens entre la dissidence et le discours transnational des années 1970–80 sur la détente et les Droits humains. Deux contributions réinsèrent ainsi judicieusement la dissidence dans le récit d’une histoire diplomatique et géopolitique. Wanda Jarzabek étudie l’effet Helsinki sur l’expression de voix alternatives à l’intérieur du bloc soviétique et dans les milieux de l’exil, ainsi que la sensibilisation croissante des espaces publics occidentaux à l’égard de la réalité des sociétés est-européennes dans ce nouveau contexte discursif. Bent Boel porte son regard sur les sociaux-démocrates européens. Examinant les liens qu’ils tissent avec les dissidents pendant la Guerre froide, il montre combien, en dépit souvent de profondes ambivalences, ces membres de la gauche occidentale contribuèrent à faire exister les dissidences de part et d’autre du rideau de fer.

Une troisième section traite des politiques transnationales de solidarité et de paix. Les contributions de cette partie nous conduisent à considérer le phénomène dissident dans un spectre international encore plus large, débordant largement les frontières européennes. Kim Christiaens et Idesbald Goddeeris s’intéressent à la constitution des mouvements belges de soutien à la Pologne et au Nicaragua au début des années 1980. Leur attention aux cadres associatifs, syndicaux, politiques, mentaux et idéologiques dans lesquels ces solidarités s’expriment parallèlement, sans vraiment se croiser, nous permet de mieux comprendre comment ces deux causes, qui peuvent renvoyer à des mondes référentiels antagonistes coexistent. Kacper Szulecki revient sur l’année 1985, trop négligée par les chercheurs selon lui. L’intensité des échanges est-ouest dans le contexte du mouvement pacifiste, sa capacité à rassembler des mouvements hétérogènes (tant par leurs structures que leurs orientations politiques), mérite selon lui une plus grande attention dans la mesure où, entre autres, elle met en lumière la contribution de la dissidence à la « détente par le bas ». Holger Nehring resserre la focale sur un spectre inter-allemand. Il dépeint ainsi la communauté des objectifs transnationaux poursuivis par les pacifistes de l’une et l’autre Allemagne, la symétrie des contextes d’action, l’impact de ces objectifs communs sur ces contextes.

Au total, le défi lancé en introduction par Brier et Kenney est abondamment relevé par les différents auteurs. Chacun met en évidence des connexions qui enrichissent de façon significative la manière d’envisager l’histoire de la dissidence. Ils contribuent de façon convaincante à la réinsérer dans une histoire européenne affranchie des cadres hérités de la guerre froide. Avec certains auteurs, l’expérience dissidente est confrontée à un spectre international encore plus large, ce qui est salutaire. Mais il y a plus en jeu que l’élargissement du contexte dans lequel est observée la dissidence. L’approche transnationale oblige à repenser les catégories d’acteurs à partir desquels cette histoire est traditionnellement écrite. En effet, à travers ces échanges transnationaux, c’est tout un spectre de réflexions et de négociations à l’intérieur des espaces sociaux en contact qui se donne à voir. Il en ressort un tableau éminemment composite et plastique non seulement des mouvements concernés, mais souvent aussi, de leurs réceptions diverses et variées. Et c’est là tout l’attrait d’une approche en terme de communication. A cet égard, certaines démarches sont particulièrement inspirantes. Celle de Kenney par exemple, qui se montre attentif à des rencontres ou des événements éphémères pour reconstituer les connexions concrètes entre les acteurs de différents pays et leur impact sur leur manière d’envisager leur engagement. En étudiant systématiquement le contexte local, il peut saisir, ce qui matériellement permet de faire passer l’information, les idées, les expériences. On comprend en le lisant l’exigence particulière d’une approche transnationale, il ne s’agit pas en effet de regarder les choses « de haut », l’observateur doit au contraire systématiquement maintenir une double focale qui lui permette de rester au plus près du terrain, tout en le replaçant dans une histoire plus globale L’apport de Fetger s’annonce également très stimulant, dans la mesure où elle propose une lecture nouvelle d’une source écrite relativement connue, la couverture médiatique occidentale de procès dissidents, qu’elle propose d’examiner d’un point de communicationnel (sans avoir explicitement recours au terme). En réinterrogeant le rapport des auteurs de ces articles à leurs informateurs, leur public, leurs mondes référentiels, autrement dit en questionnant leur mode d’énonciation, elle confère à un corpus assez conventionnel une valeur heuristique très prometteuse.

D’autres contributions s’inscrivent dans des démarches méthodologiques plus classiques, où se croisent sources orales et écrites de toutes sortes. Ces sources, le plus souvent produites par les milieux dissidents eux-mêmes comportent des biais inévitables, avec lesquels les contributeurs prennent plus ou moins de distance. D’une façon plus générale, ce n’est pas un hasard si la majorité des contributions concernent plutôt l’engagement civique et politique, domaine pour lequel il existe déjà une importante littérature. L’approche transnationale accentue cette focalisation sur le politique. Lorsqu’elle cherche à éclairer la convergence des dissidences avec certains mouvements internationaux inscrits sous la bannière des droits de l’homme et du pacifisme, elle met en relief certaines orientations des dissidences. D’autres restent dans l’ombre. A côté des solidarités est-ouest nouées sous l’enseigne des droits de l’homme ou de la paix, et généralement apparentées à la gauche, d’autres se sont constituées autour de sensibilités politiques différentes. Les frontières entre ces engagements transnationaux n’étaient pas toujours forcément hermétiques, même si elles sont souvent présentées comme telles. Une vision transnationale de la dissidence trop focalisée sur le politique ou certaines solidarités est-ouest ne rend que partiellement compte du spectre des pratiques et des opinions au sein des dissidences à l’Est d’une part, du spectre des engagements transnationaux contre le communisme d’autre part. Cette remarque ne minimise en rien les mérites des travaux présentés dans cet ouvrage, qui constituent une contribution significative à la recherche sur les phénomènes dissidents, et ouvrent des pistes extrêmement prometteuses.