G. Walczak: Elisabeth Vigée-Lebrun

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Titel
Elisabeth Vigée-Lebrun. Eine Künstlerin in der Emigration 1789-1802


Autor(en)
Walczak, de Gerrit
Herausgeber
Gaehtgens, Thomas W.
Reihe
Passarelles 5
Erschienen
Anzahl Seiten
96 S.
Preis
€ 14,80
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Marie-Ange Maillet, Paris Email:

Le 6 octobre 1789, le peuple parisien en colère contraint Louis XVI à quitter Versailles et revenir à Paris. Ce jour même, Elisabeth Vigée-Lebrun, amie et protégée de l’impopulaire Marie-Antoinette, elle-même fort mal considérée en raison de ses accointances avec le régime, décide de quitter la France et d’aller attendre sous des cieux plus favorables que la situation politique ne s’apaise. Ce départ contraint s’apparente bien à un exil, même si l’artiste préfère y voir tout d’abord l’occasion de réaliser, dans la tradition des voyages d’artistes habituellement réservés aux peintres d’histoire, le voyage à Rome dont elle rêvait depuis fort longtemps. Son époux Jean-Baptiste-Pierre Lebrun, demeuré à Paris, se servira d’ailleurs de cet argument pour tenter de faire rayer son nom de la liste noire des émigrés et faciliter son retour dans la capitale. Ses efforts ne seront couronnés de succès que tardivement, en 1800, quelques mois avant l’amnistie partielle prononcée par Napoléon. En 1802, Elisabeth Vigée-Lebrun, après bien des hésitations, décidera finalement de sacrifier la gloire acquise à l’étranger et la perspective lucrative d’un emploi auprès du nouveau tsar Alexandre I à un retour dans sa patrie, mettant ainsi un terme à douze années d’exil qui constituent une étape décisive de sa carrière artistique.

De cet exil, Gerrit Walczak restitue, en huit chapitres d’un ouvrage aussi bref que passionnant, les moments essentiels : les années italiennes tout d’abord, les plus fécondes d’un point de vue artistique grâce à l’influence qu’exerça sur le peintre sa concurrente directe, la portraitiste suisse Angelika Kaufmann. Enrichissant son répertoire d’éléments empruntés à la peinture de paysage et à la peinture allégorique (elle en développera les potentialités bien au-delà de son séjour italien), Vigée-Lebrun donne le jour à des œuvres qui, à l’instar du portrait de Lady Hamilton en Sybille, lui assureront un succès durable.

Après l’accueil triomphal de Rome et de Naples, Vienne constitue la deuxième étape importante de son exil, à un moment où les événements de 1792-1793 ne lui permettent plus d’envisager un retour rapide au pays. Ici comme dans le reste de l’ouvrage, G. Walczak a su mettre en avant les stratégies développées par Vigée-Lebrun pour s’adapter à cette nouvelle situation et conquérir de nouveaux marchés. S’il lui permit de pénétrer le salons de l’aristocratie locale et internationale et, grâce à des commandes toujours plus nombreuses, de reconstituer une bonne partie de sa fortune, le séjour viennois apparaît ainsi marqué par son échec à se faire accepter à la cour. Cela motivera son départ à Saint-Pétersbourg, terre d’accueil des artistes français. Mais dans la perspective de son retour en France, Vigée-Lebrun s’efforce également de ne pas perdre le contact avec la capitale. Il était opportun, dans ce contexte, de consacrer un chapitre à son époux Jean-Baptiste-Pierre Lebrun. Membre actif de la Commune des arts, cette personnalité ambiguë mais fascinante du monde de l’art parisien survivra sans encombres aux tumultes des années 1790 avant de devenir, sous l’Empire, le plus important marchand d’art parisien. En dépit de relations orageuses avec sa femme, il mènera une campagne active pour la réhabiliter aux yeux des gouvernements révolutionnaires – bien au-delà de leur divorce en 1794. Dans ses Souvenirs, Vigée-Lebrun a pris soin de minimiser l’action de cet époux dont l’aide, quoique bienvenue, s’avérait fort compromettante pour une artiste qui aimait à se présenter comme une victime de la révolution et était connue et estimée auprès des cours étrangères comme une alliée fidèle de la monarchie. Cela est tout particulièrement vrai de Saint-Pétersbourg, où Catherine II lui réserve, à partir de 1795, un accueil chaleureux. Pour Vigée-Lebrun, c’est la consécration : la Russie deviendra sa seconde patrie, elle y demeurera six ans. Paradoxalement, ce long séjour exercera sur son art - qui n’a pas reçu d’impulsion nouvelle depuis l’Italie - une influence fatale : figée dans son rôle de peintre officiel, Vigée-Lebrun cède bientôt à la facilité d’un style unique et conventionnel apprécié par ses puissants commanditaires. L’afflux des commandes l’incite à une productivité croissante et ne fait dès lors qu’aggraver cette tendance.

C’est l’amorce du déclin, que confirment les tableaux réalisés pour la maison de Prusse à Berlin et Potsdam, ultime étape du voyage qui la ramène à Paris. Ce n’est pas sans appréhension que l’artiste envisageait son retour – et le dernier chapitre consacré à cette période montre à quel point ses craintes étaient justifiées. Etrangère dans un monde qui n’est plus le sien, incapable d’adapter son style aux exigences du régime consulaire, Vigée-Lebrun doit non seulement subir la concurrence ardue de peintres tels Gérard, Gros et Girodet; mais la présence, dans les Salons, de nombreuses portraitistes – elles aussi plus jeunes et plus douées - la prive du statut privilégié dont elle jouissait avant la Révolution en tant que femme dans un paysage artistique essentiellement masculin. La tentative de se refaire une réputation en Angleterre se soldera par un échec relatif. Vigée-Lebrun ne survivra pas à la mort de l’ancien régime : après son retour en 1805, sa réputation s’éteindra doucement.

Les années d’exil de Vigée-Lebrun ne constituent pas un aspect inconnu de la vie de l’artiste, mais l’un des mérites de cette étude est de montrer à quels points ses Souvenirs, sur lesquels se fondent les évocations habituelles de cette période, demeurent sujets à caution. En confrontant systématiquement le discours du peintre à des sources extérieures, Gerrit Walczak a ainsi pu mettre en évidence de nombreuses lacunes et approximations dans la connaissance de cette période. Son travail s’avère également précieux par sa volonté de rappeler, à travers le cas exemplaire de Vigée-Lebrun, la particularité de l’émigration artistique de l’après 1789. Il n’existe en effet à ce jour aucune étude spécifique sur la question, cette émigration politique restant confondue, dans les travaux plus anciens, avec le phénomène général des migrations d’artistes vers les cours européennes tels qu’on les observait au XVIIIe siècle, et auxquelles présidaient avant tout des motifs économiques. Au sein de cette nouvelle émigration, Vigée-Lebrun occupe il est vrai une place singulière, puisqu’elle est l’un des rares peintres de son temps à avoir su mettre son exil involontaire au service de sa carrière artistique. L’étude de Gerrit Walczak le montre de manière tout à fait convaincante, en dépit de quelques redondances dans les conclusions des chapitres. Diversifiant les angles d’approche, son travail relève au moins autant de l’histoire de l’art (les analyses ponctuelles des tableaux de l’artiste sont à cet égard particulièrement instructives) que de l’histoire des sociabilités : ainsi en va-t-il de l’analyse comparative du rôle des Académies et Salons européens comme vecteur – ou non - de succès pour l’artiste, et de l’étude – ici simplement esquissée - des réseaux de l’aristocratie européenne. Ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage que d’appeler à un approfondissement de ces diverses questions.

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