L’année 2014 a vu se multiplier les expositions consacrées à des expositions : Experiment Metropole 1873. Wien und die Weltausstellung (Wienmuseum); Paris 1900, la ville spectacle (Petit Palais, Paris); 1925, quand l’art déco séduit le monde (Cité de l’architecture, Paris); Die Welt in Leipzig. Internationale Ausstellung für Buchgewerbe und Grafik-Bugra 1914 (Deutsches Buch-und Schriftmuseum, Leipzig). Parallèlement, les expositions sont devenues, notamment dans le cadre des études culturelles et de l’histoire, un objet de recherche à part entière. Les expositions universelles, surtout, ont été étudiées sous divers angles, mais d’autres types d’expositions également ont donné lieu à des recherches approfondies, comme par exemple l’exposition des arts islamiques de 1910 à Munich (Eva-Maria Troelenberg, Eine Ausstellung wird besichtigt, 2010)
Ce colloque rassemblant des historiens, historiens de l’art, germanistes, ethnologues et théoriciens des médias, complété par un programme de visites (5 mai après-midi), une table ronde « Exposer le livre et la littérature » (6 mai, en soirée) et un atelier pour étudiants de master (7 mai après-midi), invite à étudier dans la longue durée les différentes façons d’exposer, afin d’analyser comment elles répondent au défi d’une représentation et d’une mise en ordre du monde dans un seul lieu, dans un temps déterminé et avec un choix limité d’artefacts, en prêtant attention à la disposition ou mise en scène de ceux-ci et au jeu d’alternance entre diverses médialités (objets, textes, images). Situé au croisement de plusieurs champs disciplinaires (histoire culturelle, histoire des arts et des techniques, histoire économique, sociologie des médias et des publics), il vise à construire un espace de recherche et de formation rassemblant théoriciens, historiens et praticiens de l’exposition. L’accent sera mis sur l’espace franco-allemand avec des regards sur d’autres espaces comme l’Italie ou l’espace anglophone.
L’exposition comme dispositif culturel : perspectives locales et globales
Par opposition au livre, l’exposition est, tout comme le musée, liée à un lieu, un espace concret où le visiteur peut déambuler, circuler, et où il est confronté de manière en apparence plus immédiate à des objets, des textes ou des images. Par contraste avec le musée, l’exposition a été, dès le début, marquée par son caractère éphémère, commercial et souvent mobile. La visite se déroulant d’une manière en partie ritualisée, selon un cérémonial avec ses propres règles, l’exposition entretient un certain lien avec le théâtre. Quel rôle cette expérience immédiate et l’aspect de divertissement qui y est lié jouent-ils pour la pratique des expositions?
La naissance de l’exposition au sens moderne renvoie à plusieurs traditions européennes (cabinets de curiosités, Salons, foires, expositions de l’industrie). A travers les Kunstvereine, les expositions plus spécifiquement consacrées à l’art, entretiennent au XIXe siècle un certain rapport avec l’émergence d’un marché de l’art. Tandis que les cabinets de curiosités avaient le statut de collections privées et servaient la représentation de rois ou de princes, les musées et les expositions modernes sont associées aux notions de culture et d’éducation, à l’idée d’une sphère publique, tout en étant liés à des enjeux commerciaux et à des fonctions de représentation d’une ville ou d’un Etat, ou encore au cosmopolitisme. Si la dimension politique des expositions est évidente, comment aborder leur dimension pédagogique et didactique, le rôle qu’ont joué pour la conception de nouvelles sciences, qu’il s’agisse des sciences humaines (par exemple l’ethnologie, la psychologie ou l’histoire de l’art) ou de sciences exactes, et, inversement, comment aborder le rôle des expositions pour ces sciences?
Au milieu du XIXe siècle, un nouveau type d’exposition voit le jour, l’exposition universelle, qui vise à une représentation encyclopédique du monde, tout en cherchant à assurer l’autopromotion de la ville exposante, la défense d’intérêts nationaux et d’un certain universalisme encyclopédique. Il s’agit d’ex-poser le monde, c’est-à-dire de rendre visible en un lieu (et dans une certaine architecture) pour une durée déterminée toutes les productions et les civilisations humaines. Derrière cette idée d’universalisme et ce caractère en apparence irénique, un choix et une mise en ordre des pièces exposées s’opère qui reflète souvent une hiérarchie, illustrant à des degrés divers la concurrence des nations et des empires au tournant des XIXe et XXe siècles. Quelles différences et quelles interactions entre expositions universelles, expositions de l’industrie, expositions artistiques, salons, expositions permanentes et expositions itinérantes (Wanderausstellungen)? Comment la pratique culturelle des expositions, née en tant que pratique culturelle dans l’espace européen, a-t-elle été exportée dans d’autres parties du monde? Est-ce que ce transfert a été couronné de succès?
Si la pratique des expositions universelles d’inspiration plutôt encyclopédique se poursuit aujourd’hui (par exemple à Hannovre en 2000 ou à Shanghai en 2010), de nouvelles manières de suggérer des formes d’universalité au moyen de techniques d’exposition apparaissent. C’est ce que montrent des expositions récentes comme Unvergleichlich. Kunst aus Afrika im Bode-Museum (2017-2019) à Berlin (Bodemuseum), mettant en rapport objets africains et européens, généralement deux par deux, selon des ressemblances formelles et des thématiques, ou Treasury! Masterpieces for the Hermitage à Amsterdam (2019), mettant en rapport deux par deux des chefs d’œuvres du musée de Saint-Pétersbourg issus d’époques très différentes et de régions très éloignées comme incarnations de constantes anthropologiques dans des manifestations culturelles différentes. Il s’agit ici plus d’un jeu subtil de convergences et de différences que de hiérarchies. Quel espace-temps et quelle universalité ce type d’exposition suggère-t-il? Les incarne-t-il également par sa pratique?
Urbanité et exposition
Dans un article sur l’exposition des arts industriels réalisée à Berlin en 1896 (Berliner Gewerbe-Ausstellung) en lieu et place d’une exposition universelle, le philosophe et sociologue Georg Simmel, par ailleurs plutôt critique à l’égard de la pratique des expositions (Über Kunstausstellungen, in : Unsere Zeit, 26 février 1890) et tout particulièrement des expositions universelles, se montre séduit par la manière dont dans celle-ci la ville de Berlin s’expose en quelque sorte elle-même comme « ville mondiale » (Weltstadt). Par opposition aux expositions universelles, la condensation (Verdichtung) ne résulte pas cette fois-ci selon lui d’une « accumulation mécanique » des productions du monde entier mais de la « production propre » avec laquelle « une ville se présente comme image (Abbild) et extrait (Auszug) des forces industrielles du monde cultivé en général » (Berliner Gewerbe-Ausstellung, in : Die Zeit, Vienne, 8, 25 juillet 1896).
Quel rôle les expositions ont-elles joué pour la représentation et l’imaginaire de la grande ville, de la métropole et de la globalité? Comment les villes exposantes se représentent-elles elles-mêmes dans leurs expositions? Si les expositions ont généralement un caractère éphémère, elles laissent des traces sous forme de témoignages des visiteurs (journaux, livres d’or, articles, correspondances), ou encore de monuments, architectures, pavillons, parcs. Souvent elles modifient même l’organisation des villes exposantes, favorisant le développement des transports, donnant naissance à de nouveaux quartiers. Comment des expositions ont-elles marqué concrètement et durablement la topographie des villes, influencé l’urbanisme? Quel est leur impact sur l’auto-perception des habitants et que se passe-t-il lorsqu’une exposition régulière fait quasiment partie intégrante de l’image d’une ville, comme par exemple la documenta à Kassel?
Acteurs, pratiques et médias
Quels sont les acteurs investis dans les expositions? Quel est le rôle dévolu aux organisateurs, exposants, curateurs, visiteurs et comment interagissent-ils? Comment la pratique des expositions évolue-t-elle, depuis les expositions itinérantes (Wanderausstellungen), organisées par les Kunstvereine (associations ou sociétés d’art) au XIXe siècle, jusqu’aux expositions clés en main d’aujourd’hui? Quel rôle joue l’industrie culturelle dans ce contexte? Comment le métier du curateur se transforme-t-il, du XIXe siècle à aujourd’hui, dans une perspective transnationale européenne? De nouveaux métiers associés aux expositions naissent-ils? Quel est le rôle des documents qui accompagnent et entourent les expositions : affiches, programmes, invitations, flyers, catalogues? Est-ce que les nouvelles formes comme le virtuel et l’immersif entraînent un détournement de la forme traditionnelle de l’exposition ou est-ce qu’elles la complètent?
Qu’est-ce qu’une scénographie d’exposition et comment prendre la mesure de son importance si l’on n’est pas un.e professionnel.le? Lors de l’exposition Alvar Aalto. Architecte et designer (Cité de l’architecture, Paris, 2018) les projets de scénographie non retenus étaient présentés aux visiteurs sur écran, permettant de comprendre les enjeux des différents modes de présentation par comparaison. Faudrait-il systématiser cette pratique? Récemment plusieurs musées ont sorti de leurs archives des photographies et d’autres documents relatifs à des expositions réalisées dans le passé comme en 2014 les expositions Vorbilder et Nachbilder au Museum für angewandte Kunst (MAK) à Vienne. Qu’apporte la mémoire des expositions passées? Que se passe-t-il lorsqu’elles sont reconstituées, en ligne, sous forme de collections de documents, ou même en 3D, comme c’est le cas par exemple pour celles présentées dans le Haus der Deutschen Kunst (Virtuelle Rekonstruktion des Hauses der Deutschen Kunst 1937–1944)?
Les propositions de communications doivent être envoyées au plus tard le 30 octobre 2020 à Hass[at]em.uni-frankfurt.de et à celine.trautmann-waller[at]sorbonne-nouvelle.fr
Les informations à inclure dans vos propositions sont :
- Nom, prénom et institution de rattachement
- Un titre et un résumé de la communication (500 mots maximum en français ou en allemand)
- Un CV (indiquant entre autres le niveau de connaissance de l’allemand et du français)
Une réponse sera donnée pour la fin du mois de novembre 2020. Le transport et l’hébergement des quatre doctorant.e.s retenu.e.s seront financés par l’Université franco-allemande. Les résumés, communications et contributions à la publication collective doivent être rédigés en français ou en allemand.