L'expulsion des professionnels du cinéma de l'Allemagne nazie d’abord, puis, du fait de la Seconde Guerre mondiale, de toute l'Europe, ne constitue pas seulement une rupture violente dans les biographies et les carrières des personnes concernées : elle a sans doute eu un effet durable sur l'histoire du cinéma allemand, européen et américain. Comme cela a déjà été montré, l'exil cinématographique s’est accompagné de transferts culturels, de talents, de méthodes de travail et de styles. Après la fin de la guerre en 1945, des transferts comparables ont également eu lieu mais dans le sens inverse du fait de la « rémigration » d'intellectuels, d'artistes, de politiciens et de scientifiques. Si ce phénomène a fait l'objet de recherches pour d'autres arts, disciplines et domaines professionnels, notamment en Allemagne depuis les années 2000 , le cinéma d'après-guerre n’a guère été interrogé à partir de ce prisme. En ce qui concerne en particulier l'Allemagne de l'Ouest, le retour de certains cinéastes est en général associé à un échec sur le plan artistique ou personnel, et considéré comme infructueux (H.G. Asper, J.C.Horak, B. Eisenschitz) . Jusque dans les années 1950, le nombre de « rémigrants » est faible et rares sont ceux qui parviennent à s'établir durablement en Europe sur le plan professionnel.
Cet état des lieux de l'histoire du cinéma peut sans doute être questionné dès lors qu’on envisage plus largement la notion de rémigration sur les plans à la fois biographique, géographique et chronologique. Une telle entreprise exige un échange interdisciplinaire des études cinématographiques et des approches issues de la littérature (Ch. Schönfeld, U. Schneider), de l’esthétique (C. Flécheux), des études juives (L. Wohl von Haselberg), de la recherche sur l'exil et les migrations (H. G. Asper, M. Müller, H. Klapdor, A. Nuselovici), de la sociologie et de l'histoire (I. Von der Lühe, A. Schildt und S. Schüler-Springorum, S. Sigmund). Dans ce contexte, trois paradigmes transversaux retiennent plus particulièrement l’attention :
Une perspective axée sur les migrations et processus transnationaux permet d’appréhender la rémigration non plus comme le terme de l'exil mais comme le prolongement de relations transfrontalières et de réseaux souvent transatlantiques. De nombreux professionnels du cinéma ne sont pas rentrés définitivement dans leur pays d'origine, mais y ont renoué des contacts, y ont séjourné, sont revenus temporairement pour des projets particuliers, ont revisité des lieux marquants de leur exil, ou encore se sont (ré)installés dans des pays européens voisins. En ce sens, la rémigration ne signifie pas nécessairement un retour définitif, mais peut recouvrir différentes modalités et réalités.
Contrairement à la fuite ou à l'exil, la notion de rémigration est en outre liée à un pouvoir d'action ; ainsi, les décisions associées au retour ne sont sans doute pas à comprendre uniquement comme une réponse à l’expérience traumatisante du bannissement et de l'expulsion, il convient aussi de les appréhender comme une forme de migration volontaire. De nombreux motifs politiques, économiques et culturels peuvent alors entrer en jeu.
Les expériences de l’exil et de la (ré)migration ne marquent pas seulement les personnes directement concernées, elles sont également déterminantes pour la deuxième voire la troisième génération. Prendre cela en considération étend bien sûr le cadre temporel de la rémigration, mais permet aussi et surtout d'identifier des perspectives différenciées : alors que ce n’est qu’à un âge avancé que la première génération parvient parfois à se confronter aux aspects traumatisants de sa vie, la deuxième et la troisième génération peuvent avoir une approche plus politisée et plus réflexive de l'expérience migratoire, et être pleinement conscientes des ressources et potentialités qui y sont associées.
A partir de cette conception élargie de la rémigration, le nombre de films à envisager augmente considérablement : aux côtés de films du retour réalisés peu après 1945 tels La Chair (Der Ruf / The Last Illusion, 1949) de Fritz Kortner ou L'Homme perdu (Der Verlorene, 1951) de Peter Lorre, d’autres films allemands et européens d’après-guerre entrent dans le champ d’études, telles les œuvres d'une génération de cinéastes marqués par le cinéma d'auteur ou travaillant pour la télévision – jusqu'aux films contemporains. Sont alors pertinentes aussi bien les productions qui ont fourni l'occasion ou le cadre d'un retour (temporaire) que celles où cette expérience a été réfléchie et travaillée. En dehors des questions esthétiques, la perspective définie ici invite également à s’intéresser aux aspects liés au multilinguisme et à l'hybridité culturelle, à la spécificité de certaines professions et de certains métiers, aux réseaux internationaux ainsi qu’aux relations du cinéma avec la télévision, la radio, ou la littérature. Les contributions interdisciplinaires qui envisagent la question de la rémigration de l’exil cinématographique dans cette acception large sont également bienvenues.
Ce colloque constitue le quatrième jalon d’un programme de recherches consacré au sujet « Cinéma et “Remigration” vers l'Allemagne et l'Europe après 1945 », point d’orgue d’un « Programme de Formation-Recherche » de deux ans (2023-2025) soutenu par le CIERA, en collaboration avec l'Université Lumière Lyon 2 (Passages XX-XXI et LCE), la Johannes Gutenberg-Universität Mainz et la Filmuniversität Babelsberg KONRAD WOLF.
Les langues du colloque sont le français et l'allemand. Les contributions peuvent également être soumises en anglais, mais il est nécessaire de maîtriser passivement au moins une des deux langues du colloque. Une participation à au moins deux jours complets est attendue.
Les propositions de communication (max. 1500 signes) accompagnées d'une notice bio-bibliographique (500 signes) sont à adresser par mail, en allemand ou en français, en format pdf, aux trois adresses suivantes : nedjma.moussaoui@univ-lyon2.fr ; laurence.guillon@univ-lyon2.fr ; iklages@uni-mainz.de
La date limite de soumission est le 3.01.2025. Une réponse sera adressée fin janvier pour les propositions retenues.
Les travaux du colloque seront suivis d’une publication.
Comité scientifique :
Laurence Guillon (Lettres et Civilisations Etrangères, Université Lumière Lyon 2)
Imme Klages (Johannes Gutenberg-Universität Mainz)
Caroline Moine (Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines, Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)
Nedjma Moussaoui (Passages XX-XXI Arts et Littératures, Université Lumière Lyon 2)
Johannes Praetorius-Rhein (Filmuniversität Babelsberg KONRAD WOLF)
Lea Wohl von Haselberg (Filmuniversität Babelsberg KONRAD WOLF)