T. Serrier: Entre Allemagne et Pologne

Titel
Entre Allemagne et Pologne. Nations et identités frontalières, 1848-1914


Autor(en)
Serrier, Thomas
Erschienen
Paris 2002: Belin
Anzahl Seiten
351 S.
Preis
€ 19,60
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Michel Espagne

L’ouvrage de Thomas Serrier est une contribution fort utile à l’étude des échanges interculturels pour plusieurs raisons. Il aborde un sujet peu fréquenté par les historiens français et traite d’un objet bien délimité: Il ne s’agit pas d’une synthèse sur les relations germano-polonaises en général mais de la Posnanie, région observée à la loupe. Or la construction des identités s’observe beaucoup mieux dans l’espace limité d’une région qu’au niveau global d’une nation. Enfin Thomas Serrier s’est patiemment donné tous les moyens de traiter son objet. Germaniste-historien, il utilise des sources polonaises et allemandes, y compris littéraires et montre bien tout le profit que peut tirer l’histoire culturelle d’un socle philologique.

Le plan du travail est original. Il s’agit d’une suite de perspectives prises sur cet objet à la recherche de son identité, ou de plusieurs identités concurrentes, qu’est la Prusse polonaise. L’intérêt de ce polyperspectivisme est d’épouser au plus près les contradictions d’une réalité complexe, de déboucher sur des interrogations de fond concernant l’historiographie et les formes d’instrumentalisation auxquelles elle donne lieu. Certes le livre en accordant beaucoup d’importance à la tradition historiographique et à la presse tend à souligner les aspects identitaires dans les relations des Polonais et des Allemands alors qu’une histoire des couples mixtes ou une histoire de la vie quotidienne, une mise en valeur des 20% de bilingues que comptait la Posnanie vers 1850, auraient pu faire davantage apparaître des formes de métissage, aujourd’hui difficiles à appréhender, mais qui n’ont pu manquer d’exister. Mais le recensement des lignes de clivages était indispensable dans l’exploration d’un nouvel espace de recherche, celui des identités composites germano-polonaises.

Une figure “ littéraire ” guide Thomas Serrier dans sa recherche historiographique, celle du palimpseste. Au fond il s’agit de rechercher les signes de la Wielkopolska sous les signes de la Provinz Posen, de désintriquer deux textes, d’explorer aussi ce qu’impliquent les traditions toponymiques. On pourrait même dire qu’une sensibilité proprement posnanienne est lisible aussi bien sous les revendications nationalistes polonaises que sous les revendications allemandes qui prétendent toutes deux l’exprimer.

Etudiant prioritairement le choc de deux nationalismes, Thomas Serrier met l’accent sur des mécanismes de dissimilation. Mais ceux-ci n’excluent nullement un transfert. La dissimilation implique une relation essentielle à l’autre, un mimétisme inversé par exemple, que l’on sent à chaque pas de la démonstration. Partant d’un territoire délimité, le livre montre fort bien comment il s’inscrit dans un système de relations européennes où les tensions russo-prussienne mais aussi l’image de la France chez les Polonais jouent leur rôle. La constellation la plus significative est toutefois celle qui rassemble les communautés de Prussiens, de Juifs et de Polonais dans un triangle où la communauté prussienne penche régulièrement du côté allemand. L’éclairage que donne Thomas Serrier de la population judéo-allemande de Posnanie est d’ailleurs particulièrement intéressante pour comprendre le contexte d’origine de personnalités comme Kantorowicz. De façon générale le livre accorde à juste titre beaucoup d’importance à la sociabilité intellectuelle locale de la Posnanie en étudiant les sociétés d’historiens locaux, en observant les cautions que leur apportent des universitaires de Breslau, en établissant une galerie de portraits des archivistes ou historiens. Les associations et les groupes sociaux constitués — par exemple celui des enseignants — font l’objet d’une analyse attentive. Dans le subtil système de réfractions dont il est question, la nécessité, pour le nationalisme prussien, de discréditer les Polonais de Posnanie aboutit à dresser un tableau en noir de la Galicie. Car on pourrait reprocher à la Prusse, qui l’avait administrativement en charge, une description trop négative de sa minorité polonaise. C’est donc indirectement que la remise en cause de la Galicie doit ternir l’image du Polonais de Prusse. Les Galiciens se voient attribuer la responsabilité de la “ polnische Wirtschaft ”, de la “ gabegie polonaise ”.

Les efforts de constructions identitaires se cristallisent autour de monuments commémoratifs, et le travail a pris toute la mesure de ce que l’histoire peut retirer de l’analyse des monuments. Ceux-ci quadrillent un espace —au sens propre du terme—qui a beaucoup, et à juste titre retenu l’attention de Thomas Serrier : des associations allemandes s’approprient l’espace de la Posnanie grâce à des excursions presque touristiques. Dans la palette des documents sur lesquels repose le travail, il ne faut pas négliger de mentionner la littérature (le texte de Heine sur la Pologne) et tout particulièrement la littérature de terroir (par exemple les romans de Clara Viebig) dont Thomas Serrier livre des analyses percutantes, mais aussi les légendes à double enracinement culturel explorées par la Volkskunde.
Dans l’ensemble on a affaire a une contribution à l’histoire des transferts culturels germano-polonais bien informée, à la fois très instructive pour la compréhension des relations germano-polonaises et particulièrement stimulante pour les réflexions sur la relations entre la construction des identités et la mise en place des traditions historiographiques. Peut-être y a-t-il aussi un progrès de l’historiographie européenne dans le fait que les interactions entre des espaces culturels ne soient plus seulement abordées par des représentants d’un de ces deux espaces mais par des historiens venus d’une autre partie de l’ensemble européen.

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